jeudi, août 03, 2006
Sommes-nous si proches que ça des chimpanzés ?
Un article de Jean-Pierre Rogel intitulé « Les chimpanzés dans le genre Homo: quelques pistes de réflexion » et paru sur Internet dans L’Observatoire de la génétique en septembre-octobre 2003 semble le dire clairement : génétiquement parlant, nous les humains, nous serions à plus de 99 % semblables aux chimpanzés. Mais le moins de un-pour-cent fait de nous des êtres remarquablement différents des grands singes. Toutes sortes de questions sont soulevées par ces résultats. En s’aidant de l’article de M. Rogel, regardons comment on peut débattre maintenant de ces questions.
Rappelons que le séquençage du génome humain vient d’être complété autour de 2003 et que des parties de ceux des grands singes le sont aussi. Maintenant, les efforts de recherche sur le plan international sont concentrés sur le séquençage du génome du chimpanzé et on s’attend à le compléter prochainement. Entre-temps, avec ce que l’on connaît déjà, on peut dès maintenant tirer des conclusions à partir des analyses phylogénétiques réalisées. Et, c’est ce qu’a fait l’équipe de Morris Goodman à la Wayne State University à Détroit, dans un article, sous la signature de Derek Wildman comme premier auteur.
Dans cet article publié dans Proceedings of the national Academy of Sciences, les nouvelles preuves scientifiques basées sur la génétique apportent un éclairage qui, s’il n’est pas totalement nouveau, est solidement étayé sur le plan scientifique. Ces nouvelles conclusions scientifiques débouchent sur de fascinantes interrogations sur le plan éthique et philosophique, interrogations dont les auteurs ne soufflent mot, se contentant d’exposer les faits à l’intérieur de leur discipline.
Séquences d’ADN: une étonnante similarité Il faut d’abord rappeler la classification traditionnelle, admise par la plupart des taxonomistes. Celle-ci place l’Homme comme étant proche des grands singes mais, à part de ceux-ci. En langage populaire, on pourrait traduire par « cousins, mais sur deux branches séparées ». Généralement, on situe les deux espèces de chimpanzés, le chimpanzé commun et le bonobo, à côté des gorilles et des orangs-outans, ces quatre espèces formant la famille des Pongidés. Toujours dans cette vision traditionnelle, la famille la plus proche des grands singes est celle des Hominidés, dont les humains contemporains, l’espèce Homo sapiens, sont les seuls représentants vivants.
Selon une première catégorie d’analyse génétique, on trouve une similitude moyenne de 99,4% entre l’humain et le chimpanzé; dans la seconde catégorie, les résultats affichent une similitude de 98,4%. Par ailleurs, pour les changements non synonymiques, l’Homme et le chimpanzé diffèrent chacun du gorille par un peu plus de un pour cent. En conséquence, la nouvelle classification proposée par Goodman, dans son article, se révèle fondamentalement différente. Sur la base des analyses génétiques, elle place l’Homme dans le même groupe immédiat que les chimpanzés et les bonobos. Selon ces auteurs, il y aurait aujourd’hui, dans le genre Homo, en plus de cinq espèces d’Homo disparues, trois espèces vivantes: Homo (homo) sapiens, l’Homme, Homo (Pan) troglodytes, le chimpanzé, et Homo (Pan) paniscus, le bonobo. De plus, les chercheurs proposent d’élargir la famille des Hominidés en y incluant tous les grands singes actuels.
Du coup, en langage populaire, nous nous retrouvons avec les grands singes en tant que « cousins, sur la même branche de l’arbre », et les chimpanzés se rapprochent considérablement de nous, puisque nous formons ensemble le genre Homo.
Sur le plan épistémologique, certains verront dans cette proposition de classement un aboutissement de la démarche initiée par Darwin et longuement combattue par les anti-évolutionnistes de tout acabit, notamment par les créationnistes. En somme, ces résultats peuvent être vus comme une « preuve par les gènes » de l’évolution, voire une confirmation de ce que Darwin a dit, ou plutôt prédit. En soi, c’est déjà remarquable.
Que penser, en tant qu’humains, de la parenté que nous avons avec les animaux?
« Longtemps, les textes religieux, et en particulier la Bible dans le monde occidental, ont servi de cadre d’interprétation. Lorsque la science a émergé au fil des siècles, elle a utilisé l’analyse comparative et systématique des formes, l’anatomie et la physiologie, dans une compréhension émergente de l’histoire de la vie sur Terre, histoire laissant des traces observables. Au XXe siècle, arrive la science génétique, dont la génomique comparative constitue le dernier avatar : le critère dominant pour déterminer notre ressemblance ou notre dissemblance avec d’autres espèces devient l’ADN. »
De nouvelles questions se posent désormais à l’Homme ?
Devons-nous développer une éthique du vivant uniquement en fonction de notre proximité ou de notre distance génétique avec ces animaux?
Sûrement, si nous exploitons les animaux dans leur milieu naturel, si nous les élevons pour nous nourrir, si nous en faisons des animaux de compagnie, si nous les utilisons comme sujets d’expérimentation en recherche, nous devons justifier nos actions en tenant compte d’un ensemble complexe de paramètres éthiques et sociaux. Il nous faut justifier tout autant nos besoins utilitaristes de ponction en milieu naturel, que la manière dont nous traitons les animaux en captivité.
Par exemple, on sait que les singes Rhésus et les singes verts d’Afrique font de bons animaux modèles pour l’étude du VIH. Pouvons-nous, sur la base d’une classification génomique, considérer que d’endommager leur corps et leur esprit dans des expérimentations pour faire progresser la médecine humaine est acceptable pour ces espèces «inférieures ? Allons-nous désormais juger de la souffrance animale en fonction d’une hiérarchisation génétique?
La philosophe poursuit en refusant aux scientifiques « l’autorité de transformer quelques ci-devant animaux en quasi-êtres humains ». Selon elle, il convient de « maintenir l’homme à part sans se soumettre au diktat des savoirs ». En ce sens, elle refuse de parler d’espèce humaine et préfère employer le terme de genre humain (encore qu’on puisse lui reprocher de brouiller les cartes en employant ce mot dans un sens plus philosophique que scientifique).
Quoi qu’il en soit, cette position fait ressortir que ce n’est qu’en affirmant sa différence spécifique que l’Homme prend conscience de sa responsabilité - sa responsabilité unique envers les autres hommes et envers les animaux. Autrement dit, si nous en sommes proches, très proches même, nous sommes aussi très différents, et chargés de responsabilités par cette différence, qui est le produit de notre conscience, fruit accidentel de l’évolution.
Cette manière de voir les choses souligne au passage la faiblesse du modèle réductionniste proposé par la génétique. Car cette toute petite différence dans l’ADN qui nous distingue joue forcément un rôle très important, dont nous ignorons tout aujourd’hui, ce malgré les prouesses de la génomique. Qu’on y songe sous cet angle : cet ADN distinctif, qui se traduit peut-être en quelques centaines de gènes qui sont propres à l’homme (là encore, c’est une supposition, car on n’en sait rien…) doit pouvoir expliquer d’énormes différences sur les plans anatomique, physiologique et comportemental. Car si les chimpanzés manifestent de remarquables aptitudes à la communication et possèdent certaines formes d’organisation sociale, ils ne sont pas émus aux larmes en écoutant Mozart ou en regardant Charlie Chaplin et ne font pas de recherches en génomique!
Conclusion
Ce débat est loin d’être clos. À l’observateur non spécialisé, ou à celui qui conserve une capacité naïve d’étonnement, il apparaît que l’impératif philosophique de Socrate, « connais-toi toi-même», soit d’une surprenante actualité. Tout compte fait, les révélations de la génomique sont tout de même extraordinaires! Sur le plan de l’ADN, nous sommes bel et bien semblables aux chimpanzés à 99%. Entre eux et nous -entre ce chimpanzé qui me regarde au zoo et moi-, il n’y a qu’une toute petite différence, moins d'un-pour-cent. Il n’y a sans doute pas de quoi en faire un drame et sacraliser les gènes pour autant. Mais il y a de quoi méditer avec sérieux et modestie sur notre place et nos responsabilités au sein du monde animal.
RD
Rappelons que le séquençage du génome humain vient d’être complété autour de 2003 et que des parties de ceux des grands singes le sont aussi. Maintenant, les efforts de recherche sur le plan international sont concentrés sur le séquençage du génome du chimpanzé et on s’attend à le compléter prochainement. Entre-temps, avec ce que l’on connaît déjà, on peut dès maintenant tirer des conclusions à partir des analyses phylogénétiques réalisées. Et, c’est ce qu’a fait l’équipe de Morris Goodman à la Wayne State University à Détroit, dans un article, sous la signature de Derek Wildman comme premier auteur.
Dans cet article publié dans Proceedings of the national Academy of Sciences, les nouvelles preuves scientifiques basées sur la génétique apportent un éclairage qui, s’il n’est pas totalement nouveau, est solidement étayé sur le plan scientifique. Ces nouvelles conclusions scientifiques débouchent sur de fascinantes interrogations sur le plan éthique et philosophique, interrogations dont les auteurs ne soufflent mot, se contentant d’exposer les faits à l’intérieur de leur discipline.
Séquences d’ADN: une étonnante similarité Il faut d’abord rappeler la classification traditionnelle, admise par la plupart des taxonomistes. Celle-ci place l’Homme comme étant proche des grands singes mais, à part de ceux-ci. En langage populaire, on pourrait traduire par « cousins, mais sur deux branches séparées ». Généralement, on situe les deux espèces de chimpanzés, le chimpanzé commun et le bonobo, à côté des gorilles et des orangs-outans, ces quatre espèces formant la famille des Pongidés. Toujours dans cette vision traditionnelle, la famille la plus proche des grands singes est celle des Hominidés, dont les humains contemporains, l’espèce Homo sapiens, sont les seuls représentants vivants.
Selon une première catégorie d’analyse génétique, on trouve une similitude moyenne de 99,4% entre l’humain et le chimpanzé; dans la seconde catégorie, les résultats affichent une similitude de 98,4%. Par ailleurs, pour les changements non synonymiques, l’Homme et le chimpanzé diffèrent chacun du gorille par un peu plus de un pour cent. En conséquence, la nouvelle classification proposée par Goodman, dans son article, se révèle fondamentalement différente. Sur la base des analyses génétiques, elle place l’Homme dans le même groupe immédiat que les chimpanzés et les bonobos. Selon ces auteurs, il y aurait aujourd’hui, dans le genre Homo, en plus de cinq espèces d’Homo disparues, trois espèces vivantes: Homo (homo) sapiens, l’Homme, Homo (Pan) troglodytes, le chimpanzé, et Homo (Pan) paniscus, le bonobo. De plus, les chercheurs proposent d’élargir la famille des Hominidés en y incluant tous les grands singes actuels.
Du coup, en langage populaire, nous nous retrouvons avec les grands singes en tant que « cousins, sur la même branche de l’arbre », et les chimpanzés se rapprochent considérablement de nous, puisque nous formons ensemble le genre Homo.
Sur le plan épistémologique, certains verront dans cette proposition de classement un aboutissement de la démarche initiée par Darwin et longuement combattue par les anti-évolutionnistes de tout acabit, notamment par les créationnistes. En somme, ces résultats peuvent être vus comme une « preuve par les gènes » de l’évolution, voire une confirmation de ce que Darwin a dit, ou plutôt prédit. En soi, c’est déjà remarquable.
Que penser, en tant qu’humains, de la parenté que nous avons avec les animaux?
« Longtemps, les textes religieux, et en particulier la Bible dans le monde occidental, ont servi de cadre d’interprétation. Lorsque la science a émergé au fil des siècles, elle a utilisé l’analyse comparative et systématique des formes, l’anatomie et la physiologie, dans une compréhension émergente de l’histoire de la vie sur Terre, histoire laissant des traces observables. Au XXe siècle, arrive la science génétique, dont la génomique comparative constitue le dernier avatar : le critère dominant pour déterminer notre ressemblance ou notre dissemblance avec d’autres espèces devient l’ADN. »
De nouvelles questions se posent désormais à l’Homme ?
Devons-nous développer une éthique du vivant uniquement en fonction de notre proximité ou de notre distance génétique avec ces animaux?
Sûrement, si nous exploitons les animaux dans leur milieu naturel, si nous les élevons pour nous nourrir, si nous en faisons des animaux de compagnie, si nous les utilisons comme sujets d’expérimentation en recherche, nous devons justifier nos actions en tenant compte d’un ensemble complexe de paramètres éthiques et sociaux. Il nous faut justifier tout autant nos besoins utilitaristes de ponction en milieu naturel, que la manière dont nous traitons les animaux en captivité.
Par exemple, on sait que les singes Rhésus et les singes verts d’Afrique font de bons animaux modèles pour l’étude du VIH. Pouvons-nous, sur la base d’une classification génomique, considérer que d’endommager leur corps et leur esprit dans des expérimentations pour faire progresser la médecine humaine est acceptable pour ces espèces «inférieures ? Allons-nous désormais juger de la souffrance animale en fonction d’une hiérarchisation génétique?
La philosophe poursuit en refusant aux scientifiques « l’autorité de transformer quelques ci-devant animaux en quasi-êtres humains ». Selon elle, il convient de « maintenir l’homme à part sans se soumettre au diktat des savoirs ». En ce sens, elle refuse de parler d’espèce humaine et préfère employer le terme de genre humain (encore qu’on puisse lui reprocher de brouiller les cartes en employant ce mot dans un sens plus philosophique que scientifique).
Quoi qu’il en soit, cette position fait ressortir que ce n’est qu’en affirmant sa différence spécifique que l’Homme prend conscience de sa responsabilité - sa responsabilité unique envers les autres hommes et envers les animaux. Autrement dit, si nous en sommes proches, très proches même, nous sommes aussi très différents, et chargés de responsabilités par cette différence, qui est le produit de notre conscience, fruit accidentel de l’évolution.
Cette manière de voir les choses souligne au passage la faiblesse du modèle réductionniste proposé par la génétique. Car cette toute petite différence dans l’ADN qui nous distingue joue forcément un rôle très important, dont nous ignorons tout aujourd’hui, ce malgré les prouesses de la génomique. Qu’on y songe sous cet angle : cet ADN distinctif, qui se traduit peut-être en quelques centaines de gènes qui sont propres à l’homme (là encore, c’est une supposition, car on n’en sait rien…) doit pouvoir expliquer d’énormes différences sur les plans anatomique, physiologique et comportemental. Car si les chimpanzés manifestent de remarquables aptitudes à la communication et possèdent certaines formes d’organisation sociale, ils ne sont pas émus aux larmes en écoutant Mozart ou en regardant Charlie Chaplin et ne font pas de recherches en génomique!
Conclusion
Ce débat est loin d’être clos. À l’observateur non spécialisé, ou à celui qui conserve une capacité naïve d’étonnement, il apparaît que l’impératif philosophique de Socrate, « connais-toi toi-même», soit d’une surprenante actualité. Tout compte fait, les révélations de la génomique sont tout de même extraordinaires! Sur le plan de l’ADN, nous sommes bel et bien semblables aux chimpanzés à 99%. Entre eux et nous -entre ce chimpanzé qui me regarde au zoo et moi-, il n’y a qu’une toute petite différence, moins d'un-pour-cent. Il n’y a sans doute pas de quoi en faire un drame et sacraliser les gènes pour autant. Mais il y a de quoi méditer avec sérieux et modestie sur notre place et nos responsabilités au sein du monde animal.
RD