vendredi, novembre 10, 2006

 

Perdre sa fille pour la retrouver plus tard.

J’ai eu deux enfants, un garçon en juin 1983 et une fille en juillet 1985. Ça semble déjà tellement loin et pourtant, c’était hier. J’ai eu mes enfants sur le tard. En fait, j’avais 38 ans à la naissance de JJD et 40 ans à celle de MCD.

Les choses se sont déroulées, un peu comme se déroule la vie en général. On fait des plans, mais tout ne se passe pas exactement comme on l’avait prévu. Dans mon cas, c’est arrivé un peu plus tard que beaucoup de monde. Faut dire que mon père avait subi un gros accident d’automobile lorsque j’avais à peine 25 ans et qu’il en est sorti handicapé, au point de devoir prendre sa retraite prématurément. Étant l’aîné, je dus beaucoup m'impliquer dans sa réhabilitation et partager ses responsabilités familiales.

Mais, quel lien faut-il y voir avec ma fille, me direz-vous? J’entrepris de former une famille beaucoup plus tardivement. Dans le cas de mon garçon, c’est ma conjointe qui m’a laissé entrevoir que ce serait le temps d’avoir un enfant. Dans celui de ma fille, deux ans plus tard, c’est moi qui y ai vu un intérêt particulier, celui d’avoir deux enfants d’âge rapproché.

J’ai eu une superbe de belle fille. Durant toute son enfance, ce fut une enfant plaisante, chaleureuse et pleine de gestes d’affection. Je la regardais toujours avec douceur et c’était facile parce qu’elle dégageait un charme naturel et avait un perpétuel sourire en coin. Je ne lui demandais rien et pourtant, elle était toujours là disposée à me rendre le moindre service. Je l’aimais beaucoup parce qu’elle était facile et toujours avenante. Elle et son frère s’entendaient bien. Il y avait peu de chicane et quand cela arrivait, je leur demandais de remettre le chrono à zéro et de repartir l’entente pour voir combien de temps ça allait durer. Et, le truc fonctionnait toujours à chaque fois.

On a fait toutes sortes d’activités de plein air en famille, surtout du canot et des excursions sur la plage, des voyages de fin de semaine à Montréal, au Zoo de Granby, du cinéma, et combien d’autres choses, etc.

Je regarde les photos sur les murs et je la revois gambader avec mon garçon sur les plages. Je ne l’ai jamais vu pleurer, sauf pour de vrais bobos que je m’efforçais de guérir le plus rapidement possible. Elle était une enfant merveilleuse et pleine de vie et de vigueur. En fait, je ne me souviens pas lui avoir reproché grand-chose durant toutes ces années où elle a été petite. En plus, elle réussissait bien à l’école. Je ne dirais pas qu’elle était parfaite. À la voir s’intéresser à tout et se développer, j’entrevoyais pour elle le plus bel avenir qui soit. Elle courait après notre chat, Minou Beaux Yeux, faisait toutes sortes d’activités de bricolage et s’endormait, le soir venu, épuisée de fatigue, emmagasinant de l’énergie pour la journée du lendemain. Elle n’était à peu près jamais malade.

Mais l’adolescence allait s’avérer plus difficile. Elle passa à travers un traitement d’orthodontie et eut aussi une scoliose (une courbure de la colonne vertébrale). Elle dût porter un corset pendant quelques années. Je l’ai suivie à la trace, ne manquant aucun rendez-vous médical chez son spécialiste. Elle finit par s’en sortir très bien.

Et, passée la quinzaine, elle se mit à changer, sans que je ne sache pourquoi. Elle a commencé à déraper, à devenir plus intériorisée, elle, qui était tout sourire et qui disait tout et qui était si transparente. À l’école secondaire, j’allais voir ses professeurs et je leur demandais comme allait ma fille. Elle était tellement discrète qu’il y avait des professeurs qui avaient de la peine à mettre un visage sur son nom. Pourtant, elle réussissait bien et avait de belles notes. Comme parent, je m’interrogeais et j’essayais de comprendre ce que vivait ma fille dans son for intérieur. Je savais, comme beaucoup d’autres parents l'ont expérimenté, que l’adolescence était souvent une période très difficile à passer.

Finalement, vers la fin de son Cégep, sa personnalité changea encore plus, pas dans le sens que j’aurais aimé. Elle se réfugia sur son ordinateur et dans le chating. Elle passa une période sombre et devint plus difficile à gérer. Elle travaillait à temps partiel, en remplissant de petits contrats d'enregistrement de livres. Je cherchais aussi des réponses chez ma conjointe qui avait un meilleur contact que moi avec elle. Mais, j’ai senti ultimement que je perdais du terrain. Rien n’y faisait, le bonbon comme la carotte n’avaient aucun effet sur elle. Finalement, elle devint plus agressive à mon égard, chahutant son frère, son aîné de deux ans. Elle se mit à sortir sans dire où elle allait et revenait subitement dans la soirée.

Elle se forgea des contacts sur Internet, avec des gens beaucoup plus âgés qu’elle. C’est ce que je découvris plus tard. Je sentais qu’elle se durcissait au plan du caractère.

Finalement, un type de l’Armée, un jeune retraité de 40 ans, de plus de 20 ans son aîné, l’harponna et me la ravit de la maison. Je n'étais pas d'accord qu'elle engage son avenir avec cette personne et je pense toujours avoir raison à ce propos. Elle partit un bon soir de printemps, avec m’avoir toisé et engueulé son frère. Elle épousa son « petit soldat à la retraite » l’été suivant, sans mon consentement, après avoir à peine franchi ses 18 ans. Sa mère me quitta durant cette période.

Depuis, elle n’est plus revenue à la maison. Malgré tout, elle a terminé son Cégep et s’est inscrite à l’université. Une idée que j’avais implantée très tôt dans la tête de mes enfants était celle que l’éducation était la voie de l’avenir pour réussir sa vie personnelle et professionnelle. Elle s’est lancée en Économique pour abandonner en cours d’année et a pris, à l’automne 2006, une nouvelle orientation, celle des Services sociaux et des Relations industrielles. Rien ne m’indique qu’elle ait réussi ou échoué à date.

C’est une histoire banale aujourd’hui, pour ne pas dire banalisée, qui arrive à beaucoup de parents bien intentionnés. Plusieurs de mes amis ont vécu des expériences similaires avec leurs enfants, même pire avec des problèmes de drogue et bien d’autres choses du genre.

Faut-il se blâmer pour ce que deviennent nos enfants? La vraie réponse est à l’intérieur de nous-mêmes, quand on regarde tous les efforts que l’on a du faire pour leur donner le meilleur avenir possible. Le reste ne nous appartient pas parce que nos enfants deviennent, eux aussi des adultes, et ils font leur propres choix, que cela nous plaise ou non. Même si on a promis à ses enfants la lune et le meilleur des soutiens, il vient un temps où le cordon ombilical est coupé et ce sont leurs propres décisions qui orientent le cours de leur vie.

Moi, son père, j'aurais voulu faire plus et mieux, mais je me dois de respecter les choix de ma fille et sa vision des choses de la vie. C'est sa vie à elle maintenant et elle peut la gérer comme elle l'entend.

Les chemins de la réussite sur le plan humain sont divergents et multiples. J’espère que l’expérience de la vie lui ouvrira les yeux au bon moment et qu’elle saura trouver le chemin de la réussite personnelle et professionnelle, celle qui lui convient ou revient.

C’est ce que lui souhaite son père tous les jours. Je compte bien la retrouver un jour, quand elle aura vraiment tout compris sur le sens de la vie et qu’elle aura maturé au point de retrouver la vraie belle petite fille qu’elle était dans son enfance.

RD





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