dimanche, janvier 21, 2007

 

L’immortalité (2) : l’homme, un mammifère pas tout à fait comme les autres…

En premier lieu, il y a un fait qui saute aux yeux et qui mérite considération avant d’aborder plus directement le problème de l’immortalité. Il faut prendre conscience de l’originalité de l’homme, de l’énorme différence métaphysique qui le sépare de l’animal. Les prouesses de l’intelligence, son mode d’opération particulier le différencie largement des autres êtres vivants.

Essayons de mettre en évidence ce qui caractérise tout particulièrement l’homme :

Source : http://www.profbof.com/

« Le « sens » de l’invisible, cette ouverture spontanée et presque trop facile sur des réalités non sensibles, (âmes, esprits, dieux, forces, fantômes, etc.…) qui échappent totalement à l’ordre de la sensibilité.

La réflexion. Le sens du Je. Le retour sur soi. L’intelligence se retourne sur elle-même pour se regarder fonctionner, s’interroger sur elle-même, sa nature, ses lois de fonctionnement …

L’abstraction ou l’extraction du résidu « pensable » de toutes sa gangue sensible et matériel, en l’arrachant à toutes ses conditions matérielles pour en faire une idée, pour permettre les envolées d’un Platon et de bien d’autres qui n’ont pas le même talent.

Au-delà de toute possibilité des sens, la possibilité propre à l’intelligence de transcender à la différence de l’animal, son propre temps vécu, de penser spontanément un passé qui échappe actuellement à toute sensation possible (l’homme animal historien) et de penser tout aussi spontanément à une existence possible et même inévitable au-delà de sa propre existence (l’homme animal spécialiste de la science fiction).

L’homme en tant qu’animal éthique. Être capable de connaître l’utile, l’agréable, le bon, le désirable avec notre équipement de connaissance animale, en tant que mammifères. En sus, « par-dessus ces instincts si essentiels l’homme s’invente des « codes éthiques », des normes qu’il considère comme « des biens » qui transcendent et vont souvent à l’encontre de tous nos appétits d’ordre sensible qui habituellement nous servent quand même assez bien.

Homme à la poursuite de l’idéal… tout ce qui est pensé comme idée prend un caractère d’absolu ou d’infini... C’est le grand moteur de toute l’activité humaine et le fondement de tous les progrès faits par l’humanité…

L’homme transcende ses propres sensations. À la différence de l’animal, il s’intéresse à ce qui est au-delà des apparences… L’intelligence de l’homme est dominée par certains principes qui l’amènent à chercher, au-delà des simples sensations, les causes de toutes choses. Un autre ressort des mythes, des sciences, des philosophies, des religions; autant de pratiques exclusives à l’homme et dont on ne trouve aucun simulacre, ni ombre ou soupçon dans le monde animal.

À la différence de l’animal qui est limité par le champ d'action et la portée de chacun de ses sens, l’homme les domine tous, va au-delà et s’INTERROGE sur ce qui est… même si ce n’est pas de l’être visible, de l’être audible, de l’être odorant, épeurant, etc.

Résumons-nous. Cet être dont l’opération essentielle, est de dominer et de transcender les limites de la connaissance animale et de la matérialité ne peut-il pas exister indépendamment de la matière et échapper aux conditions de la matérialité ?… »

« Tout ceci pour en arriver à dire que la croyance en l’immortalité, bien que invraisemblable au plan de la nature animale de l’homme, a besoin pour se consolider de s’insérer, de s’intégrer dans un cadre philosophique beaucoup plus vaste ou pour d’autres dans le cadre d’une foi religieuse plus englobante.

À l’origine des choses, de toutes choses finies, y a-t-il tout simplement le néant (un monstre d’impuissance) ou la matière ou un être qui serait être par lui-même, intelligence absolue, principe et fin de toutes choses, Acte pur pour Aristote, Bien Absolu pour Platon, Être suprême pour les philosophes, sens et principe de l’évolution, Dieu pour les religions sous les milliers de noms qu’on lui a donnés, de A à Z, de Allah à Zeus, sous les milliers de formes ou représentations, du triangle à la trompe d’éléphant. »

L’immortalité et l’évolution de la vie sur terre

Un article plein de saveur et d’humour de Michel de Pracontal intitulé « L’éternité, c’est simple comme une bactérie » qui avance ce qui suit :

« … Lecteur, je vous en conjure, fermez tout de suite ce journal et répétez trois fois après moi : « Je vais mourir dans une heure d’une rupture d’anévrisme indétectable et incurable, et en plus le lave-vaisselle est plein. » Bien. Vous voilà un peu moins décontracté. On peut parler sérieusement. Pour un esprit sérieux, la mort est l’ultime certitude, le destin indépassable de toute créature, la loi universelle du vivant, etc. Eh bien, pas si sûr. Le plus courant, le plus banal, dans le monde vivant, n’est pas la mort mais l’immortalité ! C’est un connaisseur qui l’affirme : Claude Gudin, spécialiste de physiologie végétale, auteur d’une guillerette « Histoire naturelle de la mort » (1) qui bouscule pas mal d’idées reçues : « Aussi drôle que cela puisse paraître, au niveau de la cellule, la mort n’est pas inéluctable tant que les conditions de vie sont favorables », écrit notre homme.

Il y a 3 ou 4 milliards d’années, il n’y avait ni bêtes ni bestioles, pour ne pas parler d’humains. La Terre était peuplée d’archéobactéries, des êtres élémentaires constitués d’une cellule sans noyau. Ces procaryotes vivaient une sorte d’éternité dans un paradis tiède et salé, l’océan primitif : « La cellule grandissait en taille et en volume puis, sans mourir, se divisait en deux cellules filles, qui s’individualisaient, grandissaient, engendrant à leur tour deux cellules (2, 4, 8, 16, 32) jusqu’à la saint glinglin [.]. » Cette « immortalité congénitale » a duré mille fois le règne des dinosaures et cent mille fois celui du genre Homo. Voilà qui rend modeste. L’éternité, c’est simple comme une bactérie.

Si rien n’avait changé, si l’océan était resté la saumure paradisiaque des débuts, la planète serait encore une grosse boule verte tapissée de bactéries immortelles (mais non académiques). Mais de réchauffements en glaciations, de nuages de poussières en voiles gazeux, de multiples péripéties ont bousculé le cours tranquille de l’existence primitive. Les plus pleutres des bactéries ont réussi à se mettre à l’abri et à sauvegarder le mode de vie simple des origines. D’autres, plus audacieuses ou moins chanceuses, ont été contraintes de se bouger le cul (pour parler au figuré). Pour survivre, elles se sont dotées de parois protectrices, se sont associées en colonies, sont devenues cannibales. Elles ont regroupé leurs gènes dans un noyau et sont devenues des eucaryotes, qui ont engendré les êtres pluricellulaires et finalement les plantes et les animaux (je résume).

Ainsi donc, après 2,5 milliards d’années de tranquillité, l’histoire se corse. Complications majeures, le sexe et la mort, Eros et Thanatos entrent en scène 1 milliard d’années avant Freud. Au hasard de leurs batifolages, deux eucaryotes en viennent à fusionner et à mélanger leurs gènes. Il en résulte une nouvelle bactérie, un peu différente. Le processus, répété des milliards de fois, aboutira à l’extraordinaire diversification du vivant. Dans ce monde en mouvement apparaît une étonnante invention : le « suicide » cellulaire, qui affecte une partie des cellules d’une colonie, entraînant sa métamorphose. Vivre devient de plus en plus intéressant. Au prix de l’éternité initiale.

Le suicide des cellules programmé dans leurs gènes a été appelé « apoptose » par les biologistes, d’un mot grec qui désigne la chute des feuilles en automne. L’apoptose joue un rôle crucial dans la vie des organismes évolués. Nous lui devons d’avoir le nez au milieu de la figure, des bras et des jambes, bref d’avoir forme humaine. L’apoptose est le sculpteur du vivant, elle travaille en creux, retire la matière en trop : « Si nous avons des doigts aux mains, c’est parce que les cellules qui joignaient les futurs doigts ont été condamnées à mort », explique Gudin. Ce progrès a façonné la silhouette de tout un chacun, y compris celle de Sophie Marceau, quand même plus gracieuse que celle d’une méduse. Mais tout se paie : le système impose que chaque type cellulaire de l’organisme soit programmé pour disparaître à un moment donné. Ce qui condamne l’organisme entier.

Un seul moyen d’échapper à la fatalité : « déprogrammer » les cellules. C’est ce qui se produit dans une tumeur cancéreuse, qui n’est rien d’autre qu’une prolifération anarchique de cellules « immortalisées ». Bien sûr, on peut toujours rêver d’avoir le beurre et l’argent du beurre, l’éternité sans le cancer. Mais, au prix où est la margarine, est-ce bien raisonnable ? »

Le message de la Science sur l’homme, selon Jean Rostand

Jean Rostand, célèbre biologiste français, a publié en 1938, un texte sur l’Homme qui mérite que l’on s’y arrête sérieusement. Il l’a appelé : « LE MESSAGE DE LA SCIENCE ». On y retrouve l’essentiel de ce que la science expérimentale peut dire sur celui-ci si elle est fidèle à sa méthode.

« Comme tout animal supérieur, l’homme est un agrégat de plusieurs trillions de cellules, dont chacune représente un assemblage de molécules diverses. En fin de compte, il apparaît comme un édifice prodigieusement complexe d’électrons, qui doivent à la forme particulière de leur groupement le singulier privilège de pouvoir affirmer leur existence…C’est dans cette pellicule (l’écorce du cerveau) que se produisent les réactions chimiques et les transformations d’énergie qui donnent lieu à ce que nous appelons la conscience, et dont nous ne savons rien, sinon qu’elle est indissolublement liée à ces réactions et à ces transformations. C’est là que se préparent les plus hautes manifestations de l’esprit : le génie de Newton, les angoisses d’un Pascal….

Il semble bien du reste, que cette pensée ait pour seule fonction d’assister au jeu de la machine qu’elle a l’illusion de commander. L’acte dit volontaire se réduit vraisemblablement à une résultante de réflexes, et sans doute, l’homme qui réfléchit, qui calcule, qui délibère n’est-il pas moins assujetti dans la dernière de ses démarches au même titre que la chenille qui rampe vers la lumière ou que le chien qui répond par un flux de salive au coup de sifflet de l’expérimentateur. Les plus graves décisions morales, où l’homme attache tant de prix, apparaissent alors comme de purs effets des stimulations sociales, et quand il croit se soumettre librement aux impératifs sacrés qu’il croit s’être choisi, il n’est qu’un automate qui agit conformément aux intérêts du groupe dont il fait partie.

D’où vient l’homme ? Sa formation fut rigoureusement fortuite. Accident entre les accidents, il est le résultat d’une suite de hasards, dont le premier et le plus improbable fut la genèse spontanée de ces étranges composés du carbone qui s’associèrent en protoplasme…. Sa naissance ne faisait pas partie d’aucun programme cosmique. Les processus aveugles et désordonnés qui l’ont conçu ne recherchaient rien, n’aspiraient à rien, ne tendaient vers rien, même le plus vaguement du monde. Il naquit sans raison et sans but comme naquirent tous les êtres, n’importe où. La nature est sans préférence et l’homme, malgré tout son génie, ne vaut pas plus pour elle que n’importe laquelle des millions d’autres espèces que produisit la vie terrestre… D’une lignée animale, qui ne semblait en rien promise à un tel destin, sortit un jour la bête saugrenue qui devait inventer le calcul intégral et rêver de justice. Certes, à se souvenir de ses origines, il a bien sujet de se considérer avec complaisance. Ce petit fils de poisson, cet arrière neveu de limace, a droit à quelque orgueil de parvenu.

Un jour, en ce minuscule coin d’univers, sera annulée pour jamais la pitoyable et falote aventure du protoplasme. Aventure qui déjà, peut-être, s’est achevée sur d’autres mondes. Et partout soutenue par les mêmes illusions, créatrices des mêmes tourments, partout aussi absurde, aussi vaine, aussi nécessairement promise dès le principe à l’échec final et aux ténèbres infinies….

Tel est le message de la science. Il se peut qu’une science toute puissante réussisse, en définitive, à créer ce nouvel homme adapté à l’humain, satisfait de n’être que ce qu’il est, comblé par son destin étroit, guéri de tout rêve qui le dépasse. Mais il se pourrait aussi que l’humanité soit, dans son ensemble, incapable de soutenir la vérité de la science. Vérité ardue, accablante, oppressante… Parmi ses zélateurs eux-mêmes, il en est qui ne s’y rendent point sans détresse. Bien sûr, ils ne peuvent faire autrement que d’y rester fidèles, mais il leur arrive d’envier ceux qui ne sont point empêchés, par la nature de leur esprit, d’en concevoir une autre. »

Source : « La vie et ses problèmes. » 1938. Éditeur Flammarion

RD

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