lundi, avril 23, 2007

 

L'homme peut-il être heureux sachant qu'il doit mourir ?

Voici un texte écrit par un professeur de philosophie, M. Eric Delassus et publié sur Internet (http://edelassus.free.fr/).

S’il y a une question qui nous préoccupe, une fois dépassé la soixantaine, c’est bien la précarité de la vie ou le fait que nous savons que nous allons mourir un jour. Malgré tout, nous sommes tous les jours à la recherche du bonheur sous toutes ses formes.
Mais qu’en est-il réellement? M Delassus disserte de long en large sur ces sujets délicats et nous trace un tour d’horizon qui m’apparaît réconfortant, malgré tout.


« Si parce qu'il est conscience de soi l'homme est le seul être vivant à savoir qu'il va mourir, contrairement à l'animal qui comme l'écrit Rousseau : jamais (...) ne saura ce que c'est que mourir, tandis que la connaissance de la mort et de ses terreurs et l'une des premières acquisitions que l'homme ait faites en s'éloignant de la condition animale ; c'est aussi cette conscience de soi qui rend possible pour l'homme le bonheur. Pour pouvoir jouir pleinement de l'existence il faut en effet avoir conscience de cette existence.

Pour qu'il y ait accord, harmonie de soi avec soi et avec le monde il faut qu'il y ait nécessairement présente la possibilité d'une prise de distance par rapport à soi-même et au monde.

Pouvoir se penser soi-même, penser le monde, se penser dans le monde, n'est-ce pas le propre de l'homme qui en conséquence de cela se recrée un monde dont le forme n'est pas identique à celle qu'il possédait originellement.
Ainsi en tant qu'être vivant possédant une aptitude à se penser lui-même l'homme est le seul à pouvoir jouir pleinement de l'existence tout en ayant conscience de la finitude de celle-ci.

N'est-ce pas là l'un des paradoxes les plus tragique inhérent à la conscience humaine qui apparaît comme incapable de tenir la promesse du bonheur dont elle est porteuse ?

Puis-je en effet jouir d'une existence dont je sais qu'elle est finie, d'une vie qui comme toute vie a comme issue la mort ; issue certaine et incertaine quand à son moment, et donc source de crainte et d'angoisse, sentiments qui semblent, au moins à première vue, nuire à ce bonheur auquel nous aspirons tous ?

Faut-il pour être heureux ici bas feindre l'immortalité ou feindre de connaître ce qu'est la mort, mais peut-on être heureux dans la mauvaise foi, en se mentant à soi-même, en faisant semblant de savoir ce que l'on voudrait croire afin de ménager l'espoir d'une vie qui serait heureuse ; car en ce qui concerne la mort il ne peut être question que de croyance, de foi considérée comme telle avec tout le poids de doute et d'incertitude qui accompagne la foi.

Comment accepter cette incertitude et vivre en accord avec elle ?

Telle est la question à laquelle il faut répondre pour décider si le bonheur est pour l'homme, soit une simple illusion, soit un horizon vers lequel il peut tendre et auquel il peut donner une certaine réalité.

Si le bonheur peut être considéré comme la fin même de l'existence, il n'est le plus souvent qu'un rêve auquel chacun aspire en se résignant le plus souvent à ne pas l'atteindre. Le bonheur est le plus souvent perçu comme l'état que procure la satisfaction de tous nos désirs, comme une accumulation quantitative de plaisirs le plus souvent sensibles. Cette quantité ne pouvant être infinie puisqu'elle peut toujours, ou s'accroître ou diminuer ou s'anéantir, il semble impossible de parvenir au bonheur total. Le bonheur ainsi conçu n'est donc comme le fait remarquer Kant dans Les Fondements de la Métaphysique des moeurs qu'un idéal de l'imagination, autrement dit une fiction vers laquelle on tend sans jamais l'atteindre :

Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du bonheur sont dans leur ensemble empirique, c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés à l'expérience ; et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future est nécessaire. Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut véritablement.

L'homme en tant qu'être fini ne peut donc accéder au bonheur ainsi conçu, il n'est donc pas étonnant que la conscience qu'il a de sa condition d'être mortel soit perçue comme un obstacle au bonheur et se manifeste le plus souvent sous la forme de la mauvaise foi (on vit comme si l'on était pas mortel) ou de la conscience malheureuse (on se sent écrasé par l'absurdité de l'existence). L'opinion a donc tendance à envisager la conscience de la mort comme un obstacle à la vie heureuse. Pourtant le bonheur reste toujours notre souci au-delà même de notre conscience de l'impossibilité de satisfaire tous nos désirs et même l'ascète peut trouver le bonheur dans le renoncement, cela ne signifie-t-il pas que le bonheur signifie pour nous autre chose.

Ainsi si l'on analyse l'étymologie de ce terme ainsi que toutes les connotations qui s'y rattachent, la notion de bonheur évoque également l'idée d'une certaine plénitude et d'une certaine harmonie, bonheur signifiant rencontre favorable, accord parfait entre deux termes en relation. Un homme heureux serait donc un être en accord avec lui-même (ne désirant pas une chose tout en voulant la fuir comme celui qui est esclave de ses passions) et avec le monde extérieur, autrui. On retrouve donc ici la conception antique du bonheur telle qu'elle est développée chez les stoïciens et les épicuriens qui présentent le bonheur comme ataraxie, c'est-à-dire absence de troubles, autrement dit dans une transparence de l'homme vis à vis de lui-même, vivant dans la pleine conscience de sa propre nature.

Comment parvenir à un tel état ?

Pour les stoïciens tel Epictète , c'est avant tout l'usage que nous faisons de notre jugement et ce nos représentations qui nous permet de prendre en main notre existence, d'être heureux ou malheureux. Ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui sont source de trouble et de souffrance, mais l'attitude que nous avons à leur égard qui, quant à elle, est affaire de volonté, ainsi une chose est douloureuse parce que je la juge telle, si je choisis de la juger autrement elle me sera indifférente et ne provoquera aucun trouble. Il n'y a donc de bien et de mal que dans l'usage des représentations.

Souviens-toi que l'outrage ne vient pas de l'homme qui insulte ou qui frappe, mais de l'idée qu'on se fait en se croyant outragé. lorsque donc quelqu'un t'a mis en colère, sache que c'est ta propre opinion qui est cause de ta colère. C'est pourquoi tâche avant tout de ne pas te laisser entraîner par cette idée fausse, car si tu peux gagner du temps, tarder un peu, tu te domineras assez facilement.

La conscience de la mort, source d'une angoisse qui apparaît insurmontable. Il est pourtant une cause de trouble qui semble difficile à surmonter, il s'agit de la conscience de la finitude de notre existence.

Face à la mort nous ne pouvons rien, celle-ci se présente à nous comme un destin inéluctable, elle est l'inconnaissable, l'inexplicable, ce dont nous ne pouvons rien dire, cette certitude incertaine qui nous hante. Certitude incertaine en effet, car je sais que je mourrai, mais je ne puis dire quand et surtout je ne puis connaître ce que c'est que la mort. La mort est l'au-delà, c'est-à-dire ce qui se situe hors de tout ce avec quoi je puis rentrer en contact, ce avec quoi je ne puis entretenir aucune relation, ce dont je ne puis avoir aucune expérience.

Quelle attitude avoir face à la mort pour ne pas la craindre ?

Pour ne pas être affecté par cette angoisse qui mine la conscience et l'éloigne du bonheur qu'elle poursuit, suffit-il comme le conseille Epictète de simplement agir sur la représentation de la mort, de modifier le jugement que portons sur elle :
Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les événements, mais l'idée qu'ils se font des événements. Ainsi la mort n'est pas une chose effrayante, sinon Socrate lui-même l'aurait jugé telle ; mais l'idée que la mort est une chose effrayante, voilà ce qui est effrayant.

Mais sont-ce vraiment les représentations que nous formons de la mort qui nous angoissent, ne sont-ce pas plutôt ces représentations qui sont des tentatives pour conjurer cette angoisse, angoisse provenant précisément de ce que je ne puis jamais produire une représentation certaine de la mort. Je ne puis à son sujet qu'émettre des conjectures, des hypothèses ne pouvant être que des objets de foi.
Ainsi même la logique implacable de l'argumentation d'Épicure n'est que l'expression de sa foi matérialiste au primat qu'il faut accorder à la sensation dans la connaissance :

Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d'horreur, la mort, n'est rien pour nous puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n'est pas, et que, quand la mort existe nous ne sommes plus. Donc la mort n'existe ni pour les vivants, ni pour les morts, puisqu'elle n'a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus.

Mais n'est-ce pas précisément cette absence de sensation, qui, loin de nous rassurer, nous angoisse ?

Faut-il alors, fuir l'idée de la mort ? La chasser ?

Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux de n'y point penser.

Mais finalement, s'il refuse d'y penser, n'est-ce pas qu'ils y pensent trop ?
Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns et les autres avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour. C'est l'image de la condition des hommes.

Dans de telles conditions, la poursuite du bonheur nécessite que chacun affronte non seulement la mort, mais sa mort en face.

Comme le fait remarquer Heidegger, dire on meurt, ce n'est pas véritablement prendre conscience de sa mort, de ma mort, c'est en quelque sorte fuir cette conscience.

La mort, la conscience de la mort sont donc fondamentalement source d'inquiétude.
L'homme ne peut être heureux sachant qu'il doit mourir, s'il vit avec l'obsession du bonheur. Le bonheur ne peut venir que de lui-même comme par surcroît, si l'homme parvient à dépasser sa condition particulière en s'orientant vers l'universel.

- L'universalité de la loi morale
- Connaissance de l'universel et foi en Dieu ou en la Raison qui par la philosophie maintient cette tension qui favorise la vie.

L'homme est alors cette inquiétude en accord avec elle-même, qui au contraire maintient cette tension valorisant la vie par une interrogation permanente sur sa condition.

Lorsque Spinoza affirme que la philosophie est une méditation sur la vie et non sur la mort, il n'entend pas bien entendu par là qu'il faut nier la mort, mais plutôt qu'il faut l'accepter pour mieux vivre.

Bibliographie

Jean Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.

Epictète, Manuel, Maxime X.

Épicure, Lettre à Ménécée.

Pascal, Pensées (168 - éd Brunschvicg, 133 - éd. Lafuma)

... Heidegger
Qu'est-ce que la métaphysique

RD

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