mardi, février 23, 2010
Quand le travail n’a plus d’âge.
Journaliste : Sophie Cousineau, La Presse Affaires, 20 février 2010
Tous les ans, Pierrette Fortin se pose la grande question. Est-ce qu'elle continuera à travailler? Ou est-ce qu'elle partira à la retraite?
Cette Lavalloise a hésité plus qu'à l'accoutumée l'automne dernier, après s'être péniblement remise d'un accident. En mars, elle a raté une marche et déboulé un escalier au centre de ski du mont Gabriel. Commotion cérébrale, vertèbre cassée; elle a passée 45 jours à l'hôpital. « J'ai décidé de je vivrais sans séquelle. Et là, je me suis mise en mode guérison. Et là, je suis en pleine forme », raconte-t-elle d'une vois vive qui n'a rien perdu de sa précision. Vous ai-je dit que Pierrette Fortin a 77 ans?
Seule concession à son accident : cette conseillère en emploi s'est résignée à alléger son horaire de travail, qui est passé de trois après-midi à cinq heures par semaine. Mais pas question d'abandonner la carrière qu'elle a entreprise à 59 ans, à l'âge où grande nombre de Québécois s'apprêtent à faire leurs boîtes.
À l'époque, Pierrette Fortin n'avait pas le choix de travailler. Cette mère de cinq enfants se rétablissait de son divorce et d'un cancer du sein. Aujourd'hui, plus rien ne l'oblige à se rendre au bureau tous les jeudis, puisqu'elle a eu la main heureuse avec quelques placements. Rien sauf le plaisir du travail. « Je ne serais plus ici sinon », dit-elle.
Les Canadiens vivent de plus en plus vieux, de mieux en mieux. L'espérance de vie est de 83 ans chez les hommes qui atteignent 65 ans et de 87 ans chez les femmes. Mais au travail, le temps est resté figé dans les années 50, la décennie durant laquelle les gouvernements ont établi à 65 ans l'âge officiel de la retraite.
Dans les faits, toutefois, la retraite se prend beaucoup plus tôt. Au Québec, c'est à 60,2 %, selon l'Institut de la statistique du Québec. Partir à cet âge s'impose autant dans l'esprit des employeurs qui offrent encore des mesures incitatives à la préretraite que dans celui des salariés. Ils ont été bercés aux publicités « Liberté 55 » de l'assureur London Life, dans lesquelles un jeune rencontrait son double âgé et heureux sur une plage ensoleillé…
Raymonde Keroack, 62 ans, a longtemps cru à ce rêve. Cet ancien dirigeant de la Banque Nationale du Canada se souvient d'avoir vu son père, représentant en bois d'œuvre, s'échiner jusqu'à 70 ans. « C'était imprégné dans ma tête que je devais partir à 60 ans », raconte cet ex-vice-président aux services aux entreprises pour les régions de Laval, de l'Outaouais et du nord du Québec.
Raymonde Keroack s'était bien préparé à sa nouvelle vie. Deux ans avant son grand départ, il s'était acheté une fermette à Bromont, avec une érablière et une étable qui abrite deux chevaux Alflinger avec de belles crinières blondes. « J'avais peur de manquer de choses à faire », dit-il.
Il est comblé. Sa fermette ne lui laisse pas beaucoup de répit, explique-t-il après avoir nettoyé les stalles et préparé son fumier. Mais, de son propre aveu, il a sous-estimé l'importance de sa vie sociale à la Nationale, des rencontres avec les clients, des réunions aux voyages d'affaires. « Dans mon blackBerry, j'avais un millier de numéros de téléphone, dit-il. Mais, le jour où tu arrêtes de travailler, ton téléphone ne sonne plus. » Raymond Keroack n'était pas tout à fait parti qu'il planifiait déjà son retour. Depuis qu'il a suivi un cours en coaching dans une école spécialisée de Toronto, il offre de la formation et joue les mentors auprès de jeunes gestionnaires de la Nationale. Ce coach en leadership compte une douzaine de clients chez son ancien employeur, ce qui lui assure de hui à dix jours de travail par mois. « Ce qui était difficile pour moi à la fin, c'est la routine, la pression. En ce moment, j'ai le meilleur des deux mondes. »
La Banque Nationale aussi. « Nos retraités ont une expertise que la Banque ne souhaite pas perdre », dit son directeur des communications, Denis Dubé. Ce ne sont pas des paroles creuses. Entre 2003 et 2007, la Nationale a réembauché le tiers des 623 professionnels qui sont partis à la retraite au cours de ces quatre années. Ces travailleurs reviennent à la Banque à temps partiel ou pour de courts mandats, au cours de la saison des REER, par exemple.
Cette proportion a même grimpé à 36 % au cours de la dernière année. Et cela, sans même que l'institution ne monte un programme d'embauche particulier. « C'est toujours du cas par cas », précise Denis Dubé.
Le détaillant Rona, lui, a délibérément choisi de courtiser les retraités. « On adore les têtes grises : on les recherche, on les cible », dit Christian Proulx, vice-président principal, personnes et culture. Depuis 2007, Rona s'est associé à la Fédération de l'âge d'or du Québec (FADOQ), qui compte 250 000 membres. Le détaillant fait aussi de la publicité dans le magazine LE BEL ÂGE. En deux ans, la proportion des recrues de 49 ans et plus est passée de 7 % à 15 %. Aujourd'hui, les employés dans cette tranche d'âge représentent 30 % des 22 000 salariés des magasins appartenant à ce détaillant.
« Quoi de mieux que de parler à un ancien électricien ou à un ancien plombier?, dit Christian Proulx. Nos études nous ont montré que nos clients vont vers les têtes grises. » Ce dirigeant n'a que de bons mots à dire à l'endroit de ces travailleurs. Ils ont de la maturité, de la souplesse et une expérience de la vie », note-t-il. Et ils fêtent un peu moins tard le soir, un avantage non négligeable pour un commerçant qui ouvre tôt le samedi et le dimanche matin!
Mais, ce ne sont pas tous les employeurs qui sont aussi ouverts, constate Lucie Dubé, conseillère chez Midi-Quarante, un service de gestion et de transition de carrière pour travailleurs de plus que 40 ans. « Même si on parle d'une pénurie de main-d'œuvre, on ne sent pas et on ne voit pas encore un grand appétit des entreprises pour les travailleurs expérimentés. Il y a encore cette mentalité selon laquelle l'employé de près de 65 ans est perçu comme un gros salaire que l'entreprise doit tasser. »
Sa collègue, Pierrette Fortin, nuance. « Cela s'améliore un peu pour les gens dans la soixantaine. Mais, dès que tu tombes dans les sept, oupelaye! »
Adrien Tremblay le sait trop bien. Cet homme de 77 ans se cherche du travail depuis qu'il a perdu son job de conducteur de voitures chez Hertz, un poste à temps partiel que l'agence de location de voitures a supprimé voilà un an lorsque l'économie a ralenti.
Ce retraité de l'ancienne RCA Victor a travaillé toute sa vie. Il a conservé sa santé, ses bons yeux et son permis de conduire. Mais Adrien Tremblay n'a reçu aucune offre même s'il a postulé a de nombreux endroits. « Je pense que les employeurs ont des préjugés », dit-il avec une pointe d'amertume. Adrien Tremblay s'accroche tout de même. « Travailler, c'est ce qui te garde en vie », dit-il.
« Les gens perdent confiance : on ne reconnaît pas notre expertise à sa juste valeur », dit Pierrette Fortin. Mais la conseillère en emploi croit que les travailleurs âgés qui râlent et qui ne se tiennent pas à jour avec les nouvelles technologies ont aussi leur part de responsabilités. « Faut que tu sois propre et, que tu fasses attention à toi. Personne n'a envie de travailler avec un vieux monsieur qui sent la pipe! » Il faut surtout être utile, ajoute-t-elle. « Mon patron a beau m'aimer. Il faut que j'aie fait quelque chose entre le moment où j'arrive et celui où je pars », dit-elle. « Ce n'est pas de la charité. »
Commentaire de Philomage
Il est intéressant de lire de tels propos concernant les Seniors. Jusqu'à présent, beaucoup d'employeurs ont débauché nombre de travailleurs compétents dans la cinquantaine, prêts à rester au travail et s'en sont départis pour des raisons plus ou moins valables, et souvent, sans se soucier de leur sort.
Les entrepreneurs commencent à changer d'attitude, face à cette prise de conscience de la rareté prochaine de l'offre de main-d'œuvre. Une politique active de la part des gouvernements serait souhaitable en vue de revaloriser cette main-d'œuvre SENIOR et expérimentée. Il faudra aussi créer des conditions adaptées de réembauche afin de tenir compte des contraintes inhérents à l'âge et aux aspirations de ces personnes qui de toute façon aboutiront un jour à la retraite. Il en est de même des jeunes qui poirotent en attendant le départ éventuel de travailleurs engagés dans la voie de la retraite. L'expertise acquise par les plus vieux ne doit pas être gaspillée inutilement, surtout dans une société comme le Québec où une nouvelle génération de Baby-boomers n'est pas prête d'avoir lieu dans le futur.
Dans le meilleur ou le pire des cas, vive la retraite! C'est une autre forme d'activité que le travail et lorsque c'est bien mérité, ça se vit plus que très bien. Je vous en passe un papier! Au lieu de travail proprement dit, le bénévolat vis-à-vis de ses proches ou en fonction de ses champs d'intérêt pourrait s'avérer un substitut susceptible de combler ceux qui demeurent nostalgiques face à un marché du travail contraignant.
RD
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