mercredi, avril 28, 2010
Ne laissons pas effacer notre histoire
Chronique du Docteur Pierre Guillet : Les cinq piliers du bien vieillir - Chap. 6
Nous avons vu qu'il était important pour envisager un « bon vieillissement » d'avoir un contrôle permanent des « piliers » les plus importants qui soutiennent notre vie quotidienne et notre bonne santé, à savoir : les ressources, le logement, la santé, la vie affective et la vie sociale.
Maintenir une vie sociale est le cinquième pilier de soutien d'un bon vieillissement. A quoi je sers ? Qui suis-je pour les autres ? Dans ma rue et mon quartier, comment suis-je désigné ? Dans quelle activité sociale, dans quels projets de vie avec d'autres suis-je impliqué ?
Cela allait tellement de soi pendant la vie professionnelle que ces questions ne semblaient pas devoir se poser en passant la retraite. On a cru, avec le temps libéré, accéder à la liberté et à une vie sociale et culturelle riche.
Il est important de savoir que la retraite, ce n'est pas l'envers du travail, ce n'est pas seulement l'absence d'horaires, de chefs et de projets. La société continue à verser une pension, mais elle ne demande plus rien au retraité. Ce sera donc à lui et à ceux qui l'entourent d'imaginer des activités, de faire des choix et de continuer à se construire une vie sociale, utile à tous. Sans cela, des pages importantes de notre histoire se tournent et disparaissent sans faire de bruit.
« Édouard a vécu quatre-vingts ans dans le plateau du Vercors. Il a cultivé la terre, élevé des brebis, parcouru la campagne. Il a travaillé dans les forêts et dans les alpages. Il allait cueillir des champignons, chasser le gibier, pêcher des truites dans les ruisseaux de montagne. Il connaissait tous les chemins, les sentiers, les coudes de la rivière, les rochers, il savait donner un nom à chacun d'eux.
Tous ces noms transmis de génération en génération ne sont plus indiqués, ni sur les cartes routières, ni sur les cadastres communaux. Ils n'existaient plus que dans la mémoire d'Édouard et, quand il est mort, ils ont disparu avec lui. Édouard était un « Indien » du Vercors, une borne de l'ancien monde, celui des premiers habitants de ces plateaux qui, de proche en proche, à partir des hameaux, des villages et des bourgs avaient occupé tout le territoire et chassé les derniers loups. On a pu dire : « Un vieux qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle ».
Dans les campagnes, il n'y a pas si longtemps, le vieux était la mémoire des lieux, des événements, des naissances et des morts du village dans lequel il vivait. Les vieux savaient mettre un nom sur une colline, un carrefour de chemin dans la forêt, un tournant de ruisseau. Ces noms de lieux viennent du fond des âges, et vont disparaître...
Aujourd'hui, au pays d'Édouard, le paysage a changé : en moins de quarante ans, chalets de vacances et pistes de ski ont envahi l'espace... Promoteurs et entrepreneurs ont dessiné d'autres plans, placé d'autres repères, mis d'autres noms sur le relief. Un monde s'efface, et la mémoire des vieux est « déconnectée » de la réalité qui les entoure. À la campagne, mais aussi à la ville.
Albert, par exemple. Il a quatre-vingt-onze ans et, depuis sa naissance, habite Paris, dans le XIIIe arrondissement. Ce quartier, entièrement rénové, n'a plus rien qui puisse lui rappeler son passé. Pour retrouver inscrits dans l'espace ses souvenirs d'enfance, il doit aller au centre de Paris, au bord de la Seine, ou au jardin du France... Faire vivre sa mémoire est difficile quand l'environnement change, et quand disparaissent ceux qui ont partagé nos souvenirs... »
N'oublions pas ces anciens qui nous entourent, tous ces Edouard, ces gens qui ont pratiqué des artisanats aujourd'hui abandonnés. Au Japon, on leur donne le nom de « trésors vivants » pour illustrer leur valeur. Ici et là en France naissent des ateliers-souvenirs : ce mouvement devrait s'amplifier avec le nombre croissant des plus âgés. Si nous laissons les vieux perdre leur mémoire, c'est notre histoire, à tous, qui risque de s'effacer.
Nous avons vu qu'il était important pour envisager un « bon vieillissement » d'avoir un contrôle permanent des « piliers » les plus importants qui soutiennent notre vie quotidienne et notre bonne santé, à savoir : les ressources, le logement, la santé, la vie affective et la vie sociale.
Maintenir une vie sociale est le cinquième pilier de soutien d'un bon vieillissement. A quoi je sers ? Qui suis-je pour les autres ? Dans ma rue et mon quartier, comment suis-je désigné ? Dans quelle activité sociale, dans quels projets de vie avec d'autres suis-je impliqué ?
Cela allait tellement de soi pendant la vie professionnelle que ces questions ne semblaient pas devoir se poser en passant la retraite. On a cru, avec le temps libéré, accéder à la liberté et à une vie sociale et culturelle riche.
Il est important de savoir que la retraite, ce n'est pas l'envers du travail, ce n'est pas seulement l'absence d'horaires, de chefs et de projets. La société continue à verser une pension, mais elle ne demande plus rien au retraité. Ce sera donc à lui et à ceux qui l'entourent d'imaginer des activités, de faire des choix et de continuer à se construire une vie sociale, utile à tous. Sans cela, des pages importantes de notre histoire se tournent et disparaissent sans faire de bruit.
« Édouard a vécu quatre-vingts ans dans le plateau du Vercors. Il a cultivé la terre, élevé des brebis, parcouru la campagne. Il a travaillé dans les forêts et dans les alpages. Il allait cueillir des champignons, chasser le gibier, pêcher des truites dans les ruisseaux de montagne. Il connaissait tous les chemins, les sentiers, les coudes de la rivière, les rochers, il savait donner un nom à chacun d'eux.
Tous ces noms transmis de génération en génération ne sont plus indiqués, ni sur les cartes routières, ni sur les cadastres communaux. Ils n'existaient plus que dans la mémoire d'Édouard et, quand il est mort, ils ont disparu avec lui. Édouard était un « Indien » du Vercors, une borne de l'ancien monde, celui des premiers habitants de ces plateaux qui, de proche en proche, à partir des hameaux, des villages et des bourgs avaient occupé tout le territoire et chassé les derniers loups. On a pu dire : « Un vieux qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle ».
Dans les campagnes, il n'y a pas si longtemps, le vieux était la mémoire des lieux, des événements, des naissances et des morts du village dans lequel il vivait. Les vieux savaient mettre un nom sur une colline, un carrefour de chemin dans la forêt, un tournant de ruisseau. Ces noms de lieux viennent du fond des âges, et vont disparaître...
Aujourd'hui, au pays d'Édouard, le paysage a changé : en moins de quarante ans, chalets de vacances et pistes de ski ont envahi l'espace... Promoteurs et entrepreneurs ont dessiné d'autres plans, placé d'autres repères, mis d'autres noms sur le relief. Un monde s'efface, et la mémoire des vieux est « déconnectée » de la réalité qui les entoure. À la campagne, mais aussi à la ville.
Albert, par exemple. Il a quatre-vingt-onze ans et, depuis sa naissance, habite Paris, dans le XIIIe arrondissement. Ce quartier, entièrement rénové, n'a plus rien qui puisse lui rappeler son passé. Pour retrouver inscrits dans l'espace ses souvenirs d'enfance, il doit aller au centre de Paris, au bord de la Seine, ou au jardin du France... Faire vivre sa mémoire est difficile quand l'environnement change, et quand disparaissent ceux qui ont partagé nos souvenirs... »
N'oublions pas ces anciens qui nous entourent, tous ces Edouard, ces gens qui ont pratiqué des artisanats aujourd'hui abandonnés. Au Japon, on leur donne le nom de « trésors vivants » pour illustrer leur valeur. Ici et là en France naissent des ateliers-souvenirs : ce mouvement devrait s'amplifier avec le nombre croissant des plus âgés. Si nous laissons les vieux perdre leur mémoire, c'est notre histoire, à tous, qui risque de s'effacer.
RD
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