samedi, juin 19, 2010
Vivre et mourir seul ou seule
PHOTO: ANDRÉ TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
Vivre seul n'est donc plus du tout l'affaire des personnes âgées à qui la mort a arraché le père, la mère, l'époux, les frères, les sœurs et les amis. En très peu de temps, le Québec est passé des grosses familles aux vies en solo. Ce style de vie, choisi ou subi, est maintenant largement répandu chez les gens dans la trentaine et la quarantaine, au gré des séparations. Or, les déceptions amoureuses coupent aussi les liens avec les proches du conjoint. «Avant, les belles-sœurs et les beaux-frères se tenaient beaucoup ensemble et ils avaient intérêt à s'entendre, parce qu'ils en avaient pour 30 ou 40 ans à se côtoyer. Aujourd'hui, on ne sait pas si la belle-sœur de ce Noël-ci sera encore là le Noël suivant, relève Hélène David, professeure de psychologie à l'Université de Montréal. De divorce en séparation, de nos jours, on repart souvent à zéro dans une même vie.
Le témoignage de Marthe Asselin Vaillancourt |
J'ai devant moi le livre « Je ne veux pas mourir seul », de Gil Courtemanche. Je ne me décide pas à l'ouvrir, j'ai peur des vérités qu'il peut renfermer, peur de constater que nous pourrions être plusieurs à mourir seuls et peur de l'inconnu que je ne peux envisager sereinement.
Je n'ai pas le courage du ministre Claude Béchard. Le mois prochain, j'aurai 79 ans et 45 ans d'engagement communautaire. En février dernier, je conduisais rondement mes comités à l'Association québécoise de défense des droits des retraités (AQDR). À peine huit jours plus tard, me voilà arrêtée en pleine action, victime d'un cancer invasif. J'ai à peine le temps de digérer l'affreuse nouvelle, que je suis déjà prise en charge: examens, chimio, opération, avec en perspective, trois autres traitements de chimio, plus tard.
Heureusement, je ne suis pas seule, mon mari est d'un grand support, mais bien qu'il soit très actif et en pleine forme, c'est aussi un homme âgé. À l'hôpital, on me parle d'aidants naturels, j'en trouve très peu, plusieurs de nos amis sont déjà décédés, quelques-uns sont victimes de la maladie d'Alzheimer, les autres ne sont pas jeunes non plus, nos enfants sont tous très éloignés. Bien sûr, ils sont venus, notre fille surtout, mais ils ont leur propre travail et leur propre famille. Ils font maintenant partie de la génération sandwich écartelée entre l'aide aux parents et la responsabilité auprès d'ados qui attendent du support, à tous les niveaux.
J'ai eu accès à une chambre privée à l'hôpital et j'ai bénéficié d'une maison de convalescence pendant 15 jours me permettant de vivre une certaine sécurité puisqu'en plus de la surveillance de la propriétaire, je reçois la visite d'infirmières du CLSC. Chaque jour, je m'inquiète pour les femmes de mon âge qui n'ont pas les mêmes possibilités. Un cancer, c'est dispendieux : transports, médicaments, vêtements spéciaux, seins de remplacement, etc. Malgré l'aide apportée par les sociétés du cancer, je ne pense pas qu'il existe une société où tous les soins seraient disponibles pour tous. L'une de nos priorités, ces temps-ci, en tant qu'association, nous incite à militer pour l'amélioration des soins à domicile, un secteur où nous avons pris du retard et où les besoins sont nombreux.
Je reviens à la solitude. Un oncologue, qui a suivi pendant cinq ans 515 hommes et femmes mariés atteints de sclérose en plaques ou de cancer, publiait récemment le résultat de son étude: un peu plus de 11% d'entre eux se sont séparés ou ont divorcé au cours de cette période. Dans 88% des cas, ce sont les femmes qui étaient victimes de maladie. Ces couples qui se défont à côté de nous me laissent perplexe, autant pour les personnes de mon âge que pour les baby-boomers: 35% des mariages célébrés au début des années 80 se sont terminés par un divorce. Il n'est pas sûr que les couples en union libre soient plus durables ; les uns et les autres résisteront-ils à l'épreuve de la maladie?
Céline Le Bourdais, professeure à l'Université McGill où elle s'occupe de statistiques sociales pour la chaire de recherche du Canada, se questionne sur la dénatalité et la transformation de la vie conjugale, sur le fait que les enfants qui demeurent avec la mère négligeront, peut-être, le père biologique lorsqu'il sera vieillissant, et elle se préoccupe aussi du type de relation avec les beaux-parents lors de nouvelles unions.
Jacques Légaré, démographe de l'Université de Montréal croit que «les boomers devront explorer de nouvelles avenues d'entraide et se tourner vers ceux qui, comme eux, avancent en âge. Comme les enfants sont moins nombreux, ils devront rechercher les cousins, cousines, les amis. Surtout, ils souhaiteront peut-être se faire aider par des étrangers, c'est-à-dire payer pour des services qui étaient offerts autrefois bénévolement par les enfants. Ce n'est pas si naturel que ça être aidant naturel, surtout auprès d'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer», conclut M. Légaré.
J'ai lu ces deux auteurs avec beaucoup d'intérêt. Je n'ai toujours pas de courage. J'ai trop de questions. Que nous arrivera-t-il si les soins à domicile ne sont pas offerts à toutes les personnes en attente?? Qu'arrivera-t-il à ceux qui vieillissent seuls, à tous ceux hébergés en CHSLD sans visite d'un proche? Nous arrivera-t-il de mourir seuls dans un couloir parce que la surveillance est déficiente? Et les soins palliatifs seront-ils disponibles?
Que de besoins à combler pour une société qui n'a pas placé le vieillissement au centre de ses préoccupations!
COMMENTAIRE DE PHILOMAGE
J'ai rencontré un jour, en me rendant à Toronto en avion, le secrétaire de la Commission Parent. Pour les gens qui l'ignorent, c'est le Rapport Parent qui a servi à mettre en place le Ministère de l'Éducation. On était au début des années 70 et je venais à peine de terminer mes études universitaires. Ce monsieur, dont j'ai oublié le nom, et qui était Frère de son état professionnel, me conta comment ils avaient du se battre pour mettre en place un réseau de polyvalentes, de Cegep et le réseau universitaire de l'Université du Québec à temps pour ne pas perdre la génération montante des Baby-boomers. Je l'écoutais et j'étais fasciné par le fait qu'un petit groupe de penseurs, fonctionnaires, laïcs, religieux, curés, politiciens, citoyens ordinaires,…avait réagi dans les bons temps pour mettre en place les institutions et les réformes de ce qui allait devenir la Révolution Tranquille au Québec.
Je me dis que nous arrivons à une époque charnière (2010-2013) où nous devrons repenser notre société québécoise à la lumière des nouvelles données socio-économiques. Il faudra que nos décideurs de tout ordre (publics, privés) fassent le même exercice, toujours pour les Baby-boomers, mais aussi pour leur descendance. C'est à ce moment-là que nous pourrons définir le nouveau cadre de vie de nos aînés comme des plus ou moins jeunes, avec de nouvelles infrastructures appropriées, des politiques sociales redéfinies ou réajustées, et une prise en compte des besoins fondamentaux de la population vieillissante.
Votre témoignage va s'ajouter à bien d'autres qui feront infléchir les actions politiques dans le bon sens. À ce chapitre, on n'a qu'à mentionner la consultation populaire qui doit avoir lieu en août prochain sur l'euthanasie et le suicide assisté.
RD
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