mardi, février 15, 2011

 

Mélinda Villeneuve : seule à 100 ans dans sa grande maison




Article de Dany Doucet, Journal de Québec, 14 février 2011

Les femmes qui atteignent l’âge vénérable de 100 ans sont de moins en moins rares au Québec, mais celles qui vivent seules dans une grande maison restent des phénomènes de la nature.

«Phénomène» est d’ailleurs le meilleur mot du dictionnaire pour décrire Mélenda Turcotte-Villeneuve, qui a fêté son centenaire hier.

Mme Villeneuve vit seule dans une maison de 14 pièces, au coeur d’un joli village (dont nous taisons volontairement le nom, pour sa sécurité).

C’est elle-même qui pellette ses quatre galeries dès qu’il tombe un brin de neige.
Elle monte encore ses escaliers avec beaucoup d’aplomb, sans jamais mettre deux pieds sur la même marche.

Mme Villeneuve y vit seule depuis la mort de son mari, le notaire Charles-Édouard Villeneuve, il y a 27 ans.

Elle y a élevé cinq enfants, dont une petite Jamaïcaine abandonnée à l’âge de deux ans qu’elle avait décidé, un beau jour, de ramener à la maison.

«Oui j’ai peur, oui je m’ennuie souvent, mais j’aime trop ma maison pour partir», raconte Mme Villeneuve, qui aime mieux chanter des chansons que de parler d’elle-même.

Heureusement, ses deux fils habitent à quelques minutes à pied, l’un d’eux ayant pris la relève du père dans le bureau de notaire voisin.

Mme Villeneuve reçoit aussi la visite d’une préposée du CLSC chaque matin.
  
Le midi, une dame qu’elle a embauchée vient lui porter à manger. Une femme de ménage vient à l’occasion. Le soir, un de ses fils vient lui porter ses médicaments.
  
Elle porte en tout temps une alarme personnelle, de sorte que le secours n’est jamais bien loin.

Tout un caractère

On s’en doute, Mme Villeneuve est dotée d’une rare détermination. En fait, dans la famille, on parle davantage d’une tête dure, pour ne pas dire autre chose…

« Je n’ai pas toujours fait à ma tête dit-elle, sans donner d’exemples.

Dans la famille, qui se réunissait hier dans un hôtel pour fêter cette journée mémorable, on se demande bien quand Mme Villeneuve n’a pas fait à sa tête…

Mais bon, chose certaine, tout le monde reconnaît qu’elle a toujours eu un grand coeur, qu’elle a donné temps et argent à ses proches et même à des étrangers, que sa porte et sa table étaient ouvertes à tous.

La longévité de Mme Villeneuve s’explique aussi par une forte hérédité. Encore aujourd’hui, aucune maladie grave ne l’afflige. Sa mère est décédée à 103 ans.

Deux guerres

Née à Sainte-Thècle, près de Saint-Tite, 13e d’une famille de 13 enfants, Mélenda Villeneuve en a vu des choses et connu des aventures dans sa vie.
Signe précurseur : comme on allait la faire baptiser, durant l’hiver 1911, le traîneau s’est renversé et bébé Mélenda a complètement disparu sous la neige. Son père et son parrain l’ont retrouvée en piétinant dans la neige.
La télévision est arrivée 40 ans plus tard.
  
«C’est l’arrivée de l’électricité qui a le plus changé ma vie», dit-elle.

Elle a connu la grande dépression, plus d’une épidémie, la Première et la Deuxième Guerre mondiales, dans lesquelles elle a perdu des proches. 

Promesse tenue

Q Quelle est votre plus grande qualité ?
R La ténacité, dans le sens de ne jamais lâcher pour ce qu’on veut.
Q Quelle est votre pire défaut ?
R La ténacité, mais dans le sens de tête dure…
Q Quels sont vos plus beaux souvenirs ?
R Mon plus beau souvenir, c’est ma vie avec Charles-Édouard. Mes désirs étaient les siens.
Q Avez-vous des regrets ?
R J’aurais souhaité toute ma vie avoir plus d’instruction. J’aurais aimé devenir avocate criminaliste.
Q Quelle est votre plus belle réussite ?
R Avoir réussi à donner l’instruction à mes enfants.
Q Avez-vous déjà pensé à la mort ?
R Oui, dans les moments de grande solitude, ça m’arrive d’y penser.
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Mme Villeneuve est la grand-mère de ma belle-mère, Paule Boily, donc un «phénomène» que j’ai la chance d’observer de près depuis plus de 20 ans.

Il y a six ou sept ans, lors du réveillon de Noël, j’avais dit à Mme Villeneuve que si elle habitait toujours dans sa grande maison à l’âge de 100 ans, elle aurait de bonnes chances de faire la première page du Journal de Montréal.

Pour être bien honnête, à cette époque où elle souhaitait que le Bon Dieu vienne la chercher, comme elle disait, je ne pensais pas devoir écrire moi-même cet article aujourd’hui…

Pas moyen d’y échapper, Mme Villeneuve, elle, ne l’a jamais oublié. Chaque fois que je la voyais, elle m’en parlait, y compris au dernier réveillon, où elle m’a dit :

«Je m’en viens bien, tu vas être obligé de me mettre dans le Journal!»

Voilà : promesse tenue !

Mme Villeneuve a 11 petits-enfants, dont le cinéaste Denis Villeneuve, qui est en nomination aux Oscars...

Dany Doucet

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