samedi, juillet 23, 2011

 

Comment apprendre à bien vieillir?


La réponse à cette question se résume dans ce dialogue :

- Georges (alors âgé de quatre-vingt-un ans, et un peu dur d’oreille), penses-tu que l’on puisse apprendre à bien vieillir ?

- Comment ? Tu me demandes si l’on peut apprendre à vivre ?

- Non, peut-on apprendre à « vieillir » ?

- Bon, j’avais bien compris : tu me demandes comment on peut apprendre à   vivre... car au fond, c’est la même chose !

Apprendre à vivre serait donc synonyme d’apprendre à vieillir, et bien vieillir serait l’aboutissement sans heurts et sans fracture, d’une vie en harmonie avec soi et les autres. 

Énoncée comme cela, la sérénité si souhaitable en fin de parcours, apparaît d’elle-même pour accompagner les phases ultimes de la vie.

Bien souvent, la vieillesse conduit à affronter la solitude. Mais à vrai dire, il faut remonter à la prime enfance pour pouvoir interpréter tout au long de la vie la façon dont l’intéressé se comportera face à ce sentiment. La qualité de l’adaptation à la solitude trouve ses racines dans les profon­deurs du lien qui unit le petit enfant à ses parents, car cette première expé­rience, si elle peut être chaleureuse, peut également passer par toute la gamme des nuances affectives, jusqu’à la privation la plus cruelle. C’est à tra­vers cette relation que se jouent le développement psychologique de l’enfant et sa capacité d’être heureux durant toute la vie. Pour surmonter ses angoisses primitives et construire sa personnalité, le petit enfant a besoin de l’amour maternel et paternel, d’une réponse adéquate à ses demandes. C’est ainsi qu’il acquerra la capacité d’être seul.

Si la première relation est bonne, l’intégration ultérieure le sera probablement aussi. Le sujet sera capable d’être en communication et en confiance avec les autres, de s’identifier à leurs malheurs et à leurs joies. Sa personna­lité sera assez forte pour résister aux vicissitudes de la vie. Ainsi, à tout âge, il pourra supporter sans trouble majeur les changements et les pertes.

Au contraire, il est des vies mal parties où difficultés relationnelles, conflits et ruptures s’enchaîneront comme une fatalité avec, à la clef, une vieillesse vouée a une solitude douloureuse.

Cependant, le développement psychique et relationnel ne se limite pas au temps de l’enfance. Nos interlocuteurs nous en ont donné maints exemples. Nous avons vu de bien mauvais départs évoluer vers une bonne vieillesse, grâce à d’heureuses rencontres affectives ultérieures et à l’enseignement des leçons de la vie.


Les moments critiques

Prévenir les tourments de la solitude, c’est veiller tout particulièrement à maintenir des liens relationnels et affectifs lors des étapes critiques de l’exis­tence.

Il en va ainsi lorsque les enfants, arrivés à l’âge adulte, quittent la maison pour réaliser leur besoin d’autonomie et fonder à leur tour un foyer. La soli­tude peut alors se glisser entre les quatre parois de la maison soudain deve­nue vide et silencieuse : c’est le « syndrome du nid vide », que les psycho­logues connaissent bien. La solitude s’installera à coup sûr si l’on n’est pas resté attentif à garder d’autres intérêts et d’autres relations personnelles en dehors du couple. Quand on s’est mariés, j’ai dit : « Ni copains, ni copines ! », avait proclamé une épouse. Et une autre : Maintenant qu’on est mariés, tu res­teras à la maison ! Fidèlement observé, ce programme a conduit au repli sur lui-même d’un couple « fusionnel » et, lors du veuvage, à un vide total.

Un autre moment critique est celui de la retraite, où la perte du rôle social lié à l’activité professionnelle risque d’entraîner un sentiment pénible de solitude si l’on ne s’est pas attaché à rechercher d’autres sources de bonheur que le travail, limitant les relations au seul milieu professionnel. Il est impor­tant de le savoir et de prendre à temps les mesures qui s’imposent. Les « isolés » et les « résignés » donnent à cet égard des contre-exemples démonstratifs.

Avec les années survient une diminution des liens affectifs, provoquée par le décès des personnes aimées, en particulier celui du conjoint. Nous avons vu tout au long de ces pages comment beaucoup de nos interlocuteurs ont su faire face à cette forme de solitude particulièrement douloureuse.

Le « tra­vail du deuil » sera plus difficile si les êtres qui nous ont quittés ont laissé dans notre souvenir des images teintées d’anciens conflits. Si des difficultés rela­tionnelles n’ont pas été résolues du vivant du défunt, elles persistent telles quelles et sont source de tourment : c’est comme si ces personnes, pourtant décédées, continuaient à habiter nos pensées et nos rêves, et que nous por­tions toujours en nous ces épines conflictuelles (on parle de « deuil frustrant » dans ces situations où l’intéressé a perdu « son meilleur ennemi »).

À l’inverse, le souvenir d’un amour partagé tout au long des années est précieux pour bien conduire le travail du deuil : Il faut être reconnaissant. Il en va de même pour le sentiment d’avoir tout fait pour accompagner au mieux son conjoint dans la dernière étape de sa vie.

Vient enfin la vieillesse, avec parfois le sentiment de ne compter pour per­sonne, de n’être aimé de quiconque. De nombreuses personnes âgées se sentent mal aimées car elles ont l’impression d’être devenues inutiles au sein d’une société attirée par la jeunesse, une société qui, apparemment, n’honore et ne respecte plus les aînés comme on s’imagine que c’était le cas autrefois. Or, c’est justement à cette période de la vie qu’on a davantage besoin d’être aimé et estimé, comme si la vulnérabilité s’exacerbait avec l’âge, comme si augmentait le malaise de ne pas se sentir accepté.

Ceux qui vieillissent bien apportent la démonstration des heureux effets d’une vie relationnelle ouverte et chaleureuse qui se poursuit naturellement avec l’âge. Certains, enfin, ne souffrent pas d’être seuls, mais au contraire s’en réjouissent. Leur solitude transcendée est enrichie d’un sentiment de plénitude. Ils ont sublimé leur solitude. Les possibilités de sublimation s’ac­croissent avec l’avance en âge. L’esprit de création en est une des manifesta­tions majeures - même dans ses aspects les plus quotidiens, qui consistent à se passionner pour les « choses qui vont au-delà du temps et de l’espace », comme la nature, la musique et les autres arts.

La perte, entre l’être et l’avoir

Notre époque tend à confondre l’« être » et l’« avoir», Si l’« avoir » s’ap­puie par définition sur la possession, en revanche l’« être » se manifeste de façon plus nuancée et peu apparente. En effet, « être » dépend pour chacun de nous de la capacité de devenir pleinement soi-même.

Le fait d’avoir des choses, des objets, procure aussi l’impression d’un cer­tain bonheur. Mais si ce besoin de possession devient excessif, il se transfor­mera en volonté de domination : il ne s’agira plus de vouloir posséder ceci ou cela mais, par cette possession, d’exercer son pouvoir sur les autres. On se trouve alors devant une communication basée sur un rapport de forces ; certains couples sont fondés sur ce genre de rapport.

C’est précisément au sein de cette dialectique de l’être et de l’avoir qu’il faut comprendre et élaborer les pertes - en particulier celle du conjoint. Faute de quoi nous glisserions inévitablement vers l’erreur de croire qu’avoir équivaut à être et que ne plus avoir est synonyme de ne plus être. Cette confusion est à l’origine de beaucoup de solitudes. Car le vieillissement se fait sous le signe de la perte : perte des choses, des affects, des personnes aimées, de ses possibilités physiques. Il n’est pas facile de remplacer ce qu’on a perdu, sinon en puisant en soi-même à l’aide d’une nouvelle foi, de nouvelles idées, de nouveaux investis­sements affectifs, bref, d’un nouveau projet de vie pour continuer.

Sans oublier qu’au début du vieillissement, on se trouve en même temps appelé à faire un choix d’importance capitale : accepter le vieillissement ou le refuser. Ne pas vouloir vieillir s’inscrit dans le refus inconscient de la mort, et cette idée se situe aussi entre l’être et l’avoir. La sagesse, quant à elle, suggère ceci : comment remplacer ce qu’on a perdu par autre chose, dans un nouvel espoir de vie et sans renoncer toutefois au but qu’on s’était initialement fixé ? La réponse à cette question appartient à chacun de nous, et c’est en cela que consiste en grande partie l’art de bien vieillir, c’est-à-dire accep­ter les pertes, les obstacles et les difficultés en choisissant d’autres itinéraires de vie et de pensée.

Pour conclure

Nos observations et réflexions sur la vieillesse et la solitude nous conduisent aux conclusions suivantes :

L’attitude face à la solitude est liée à la personnalité, elle se forge dès la pre­mière enfance et se module tout au long de la vie.

La capacité d’être seul est en relation avec l’harmonie que l’on établit avec soi-même et entre soi-même et les autres. La qualité des liens affectifs, l’ouver­ture aux autres et l’aptitude à aider, les ressources intérieures et l’accepta­tion de la vieillesse déterminent largement l’attitude face à la solitude.

Cette attitude est relativement indépendante de l’état de santé et des handi­caps éventuels. Elle est en revanche fortement dépendante de la perte de l’autonomie.

Quand, face à la solitude, il n’y a qu’amertume et regrets, le risque est grand de voir s’installer un état dépressif ; on parlera alors de maladie de la soli­tude.

La solitude est liée à notre condition humaine, aussi serait-il vain de pen­ser ne jamais la rencontrer ou de pouvoir se mettre à l’abri de la peine qu’elle engendre. « La solitude, ça s’apprend ! » Car la solitude n’est pas uniquement négative. Elle connaît deux modalités : le bonheur et la souffrance. La soli­tude qui rime avec plénitude, nous l’avons rencontrée dans nos enquêtes ; la plénitude est le propre de ces personnes qui vieillissent bien, entourées d’affection et de sympathie, ce qui ne veut pas dire que leur vie ait été sans difficultés, au contraire. Cependant, elles ont su s’en sortir sans blessures invalidantes, en gardant un esprit optimiste et tourné vers l’avenir. La solitude-plénitude est associée à la découverte et à l’approfondissement des réalités spirituelles, à la création intellectuelle ou artistique.

La vieillesse peut être une étape privilégiée de la vie dans la mesure où elle offre une occasion de mieux se connaître et de faire en soi le tri de l’or et des déchets (c’est le « travail du vieillir »). Elle ne devrait pas être prétexte à nos­talgie à l’idée de ce qu’on aurait pu faire ou de ce qu’on aurait voulu être et qui ne l’a pas été. Car, pour aimer les autres, il faut s’aimer tel qu’on est.

« On vieillit comme on a vécu. » En effet, beaucoup de gens vieillissent avec le même bonheur de vivre qui a toujours été le leur. Certains ont même appris en cours de route à dépasser le handicap d’une difficile entrée dans la vie.

C’est au fond notre privilège d’apprendre à vieillir, c’est-à-dire d’ap­prendre à vivre.

Source : Groupe « Sol » de l’Université du 3ème âge - Genève

RD

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