vendredi, septembre 02, 2011
Lise Payette: Pas déjà 80. Mon doigt d'humeur...
PROPOS DE LISE PAYETTE
« Je ne le crois pas. Je vais avoir 80 ans dans quelques jours. Je refuse de me considérer comme vieille. J'ai plutôt envie d'affirmer que la vie commence à 80 ans, une fois qu'on a bien compris le comportement de ses semblables, qu'on s'est ramassé non seulement des souvenirs, mais des points de repère et d'ancrage.
Et ma façon de fêter ce moment privilégié, c'est le doigt en l'air, comme mon ami Languirand à qui Radio-Canada vient de couper le sifflet après 41 ans de bons et loyaux services avec la formidable délicatesse qui caractérise la grande maison depuis des années. Un doigt d'humeur (plus que d'honneur) pour que le Québec comprenne enfin que ceux et celles qui ont la chance de vieillir ont droit au respect et à la reconnaissance de chacun.
80 ans! Je ne sais pas où sont passées toutes ces années parce que j'ai été si occupée que je n'ai jamais eu le temps de regarder en arrière. 80 ans, qu'on le prenne n'importe comment, c'est tout un bail. Et si vous multipliez par 24 heures de chacun des jours que ça implique, ça fait 701 280 heures de vie. Ce qui m'étonne le plus, en fait, c'est d'être encore là. Et surtout capable de faire le compte. Je ne dis pas que la vie a toujours été facile, mais elle m'a toujours offert des défis nouveaux qui ont aidé à satisfaire l'immense curiosité d'apprendre et de connaître qui a motivé mon existence.
Je découvre chaque jour que la vieillesse, ce moment de la vie tant redouté, peut être pleine de surprises pour peu qu'on la regarde bien en face, avec un sourire complice au coin des yeux. Si vous regardez autour de vous, vous saurez, bien à l'avance, quelle sorte de vieux ou de vieille untel ou une autre deviendra. On vieillit comme on a vécu.
Je ne vous cacherai pas que certains matins, quand il fait humide en particulier, je découvre des os que je ne savais même pas que j'avais. Ils grincent un peu et je me rends bien compte qu'ils sont un peu rouillés, mais comment leur reprocher quoi que ce soit puisqu'ils ont juste obéi aux folies que je leur ai imposées. Ils sont solides. La preuve...
En vieillissant, la vie devient encore plus précieuse parce que chaque minute porte son poids de bonheur ou de peine. Le temps est suspendu au-dessus de nos têtes en permanence et il en reste toujours trop peu pour dire l'amour, l'amitié, la présence, la fidélité. Pas de temps à perdre avec les querelles, les haines, les règlements de comptes. Je ne dis pas que vieillir est une partie de plaisir. Ce serait mentir.
Nous vivons dans une société où vieillir est pratiquement un crime. On enferme les vieux comme si on les mettait en prison et une fois par année, on va leur porter des oranges. C'est la plus grande angoisse que vivent les vieux d'ici, la peur d'être abandonnés «aux bons ou aux mauvais soins» de gens qui vont les bousculer, les priver de leur dignité et les forcer à finir leur vie dans la soumission et la déresponsabilisation, sous prétexte qu'ils ne se plaindront pas pour ne pas risquer d'être encore plus délaissés.
Vieillir, c'est hélas aussi enterrer ses amours, ses amis, ses collègues. Ils partent tous comme Paul-Marie Lapointe, Gil Courtemanche ou Jack Layton, et la liste s'allonge chaque semaine. Quelle souffrance. C'est se demander des dizaines de fois «pourquoi lui et pas moi?». C'est admettre aussi que ce sont tous les petits renoncements qui se chargent de vous rappeler que même si votre coeur prétend avoir encore 20 ans, vous ne les aurez plus jamais. Vieillir, c'est refuser de rester sur le bord de la route à regarder passer le défilé. Et se dire qu'il marche trop vite pour nous.
Le plus important pour tous les vieux, c'est de «rester dans la parade», de rester informés, de participer aux débats, d'oser émettre des opinions et de les défendre. C'est refuser d'être figés dans des certitudes qui empêchent de mieux comprendre comment fonctionne le monde qui nous entoure et c'est refuser de baisser les bras, car il reste tant de choses à faire. Et quand la mort se présentera, lui faire un doigt d'humeur bien senti, histoire qu'elle sache bien qu'elle ne ramassera que les miettes qu'on aura bien voulu lui laisser. Libres jusqu'au bout et debout. Debout dans la tête. Toujours.
Source : Le devoir.com
COMMENTAIRE DE PHILOMAGE
Une analyse à retenir. Ses commentaires sont d'une grande justesse. Avec l'arrivée des Baby-boomers à la retraite, ce sera toute une classe sociale qui vivra les mêmes sentiments et les mêmes appréhensions. Peut-être serons-nous plus aptes à redéfinir nos rôles réciproques dans cette société québécoise vieillissante? Le nombre de seniors jouera en notre faveur puisque nous sommes mieux formés et plus instruits que les générations de Seniors précédentes. Il y a tout lieu d'être optimistes sur ce point.
RD
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