vendredi, février 03, 2012
Retraite : le nivellement par le bas n'est pas la solution
Article de René Vézina, LesAffaires.com, 4 février 2012
De 1975 à 2005, au Québec, l'espérance de vie d'une personne de 65 ans a progressivement augmenté de quatre ans. C'est énorme.
Les travailleurs qui ont cotisé à des régimes de retraite, privés ou publics, peuvent donc espérer vivre plus longtemps de leurs rentes. Par ailleurs, les régimes universels, comme le Programme de la sécurité de la vieillesse (la pension de vieillesse), puiseront davantage dans les coffres de l'État, puisque les personnes âgées seront de plus en plus nombreuses à attendre leur chèque.
Ce ne sont là que deux facteurs de changement dans l'équation toujours plus compliquée du soutien à la retraite. Ajoutez, comme pour simplifier les choses, les rendements anémiques des régimes, ces dernières années - alors qu'on prévoit d'autres périodes de vaches maigres avec des taux d'intérêt au plancher -, et vous verrez « qu'y en aura pas de facile », comme disait l'ancien entraîneur des Canadiens, Claude Ruel.
D'où l'intervention de Stephen Harper, à Davos, qui a clairement évoqué un report de l'âge auquel les fameuses pensions de vieillesse commenceraient à être versées, de 65 à 67 ans... au moins. Que les plus inquiets se rassurent, ce n'est pas pour demain, peut-être même pas avant la fin de la décennie, mais le compte à rebours est commencé.
Le paysage démographique a beaucoup changé au cours du siècle dernier. Autrefois, les personnes de 65 ans étaient considérées comme de petits vieux, à 70 ans, ils entraient dans la catégorie des vieillards, et 80 ans étaient un âge canonique. L'État attribuait une rente pour adoucir la dernière ligne droite d'une vie qui, de toute façon, s'achevait.
Mais les centenaires ne sont plus rares. Et attendez de voir la suite. En octobre 2009, un article de la réputée revue scientifique britannique The Lancer, affirmait que la majorité des enfants nés depuis l'an 2000 dans les pays industrialisés, y compris le Canada, franchiraient le cap des 100 ans! Recherches à l'appui, on y développait la thèse selon laquelle les gens ne vivent pas simplement plus longtemps, ils vivent également mieux.
Cette observation ouvre la porte à une discussion plus large. Tôt ou tard, si rien ne change, nos sociétés seront ensevelies sous le poids de leurs responsabilités envers les aînés. Leur bonne forme relative les amènera à vouloir profiter bien légitimement de cette retraite prolongée. Nous arriverons donc inévitablement à un point de bascule, où il y aura trop de demandes par rapport aux ressources financières disponibles.
Que faire? Comment se préparer? Deux avenues sont le plus souvent mentionnées. La première consiste à réduire la hauteur des rentes, pensions et avantages en tous genres. Si plus de personnes recevaient des versements plus longtemps, il n'y aurait qu'à baisser les montants et l'équilibre serait préservé. Il suffirait de comprimer les dépenses et le tour serait joué.
Le problème avec cette méthode, c'est que les besoins, eux, ne diminuent pas. C'est comme si, avec plus d'invités autour de la table, on servait de plus petits morceaux de la même tarte. À la fin, les gens ont encore faim. Le nivellement par le bas ne règle rien.
Mais si on faisait en sorte que moins de monde arrive à la table en même temps? Autrement dit, si on prenait en compte l'allongement de l'espérance de vie pour retarder le versement des prestations ? De toute manière, comme on vient de le mentionner, les prestataires d'aujourd'hui ont toutes les chances d'en recevoir bien plus longtemps que leurs prédécesseurs. Eux mouraient jeunes, ou presque. C'est de moins en moins le cas. Au bout du compte, l'échange demeure profitable.
Il faudra cependant revoir en profondeur notre conception du travail et notre perception de la contribution des gens plus âgés. Les inciter à demeurer actifs est une chose, leur en donner l'occasion en est une autre. On devra aussi repenser des formules imaginées plus tôt, mais qui ne tiennent plus la route aujourd'hui, comme la pleine retraite dont peuvent bénéficier les policiers dès l'âge de 50 ans.
Évidemment, il serait plus commode de fermer les yeux et de faire semblant que le statu quo est préférable au changement. Désolé. Dans ce cas-ci, il contredit plutôt les valeurs fondamentales d'une société qui se targue d'équité et de solidarité.
La vision exprimée par ce journaliste s'inscrit dans un contexte figé des années 80. D'abord, la crise démographique définie en terme de carence en main-d'oeuvre est connue depuis les années 70. Les démographes du Québec ont signé nombre d'études signalant vers quoi on s'en allait.
La vague des baby-boomers des années 45 allait continuer à déferler et à changer la société québécoise du tout au tout. C'est ce qui arrive maintenant avec leur arrivée à la retraite en 2013. La question fondamentale est celle de la relève, tant au niveau des entrepreneurs que des cohortes de main-d'oeuvre. Ce qui fait la qualité de cette main-d'oeuvre n'est pas nécessairement reliée à leur nombre, mais à d'autres variables comme la productivité et la formation.
La recette de base est relativement simple :
- Oui, certains régimes de retraite comme ceux des policiers sont à rééquilibrer. Ils sortent de la norme et sont le fruit de négociations où le Législateur a baissé les bras.
- Oui, tous les travailleurs ont droit, de la part du Fédéral à une rente de vieillesse et à un supplément adéquat. Elle est donnée à tous les citoyens canadiens du fait de notre appartenance et de notre contribution à l'essor de ce grand pays.
- Oui, il faut repenser les régimes de retraite pour les mettre à jour et bien répartir les coûts intergénérationnels.
Mais, les réponses viennent aussi de la conduite de l'économie :
- Faire disparaître les emplois désuets pour réduire les besoins en main-d'oeuvre dans des secteurs non productifs ou non essentiels. Automatiser dans la mesure du possible.
- Favoriser l'émergence d'une main-d'oeuvre jeune, bien formée et expérimentée, en valorisant le diplôme et le transfert de connaissances et de l'expérience des 30-65 ans sur le marché du travail.
- Mettre l'accent sur les secteurs à haute valeur ajoutée, très intensifs en technologie et beaucoup moins en main-d'oeuvre.
- Investir dans la mise à niveau des compétences des travailleurs expérimentés. Ce que l'on appelle la formation continue.
- Investir dans les grands projets ou travaux comme la mise en valeur du Plan Nord, les barrages hydroélectriques.
- Recruter des investisseurs étrangers.
- Favoriser les productions à forte valeur ajoutée dans des créneaux exclusifs ou avec des avantages comparatifs majeurs pour le Québec.
- Renforcer les marchés d'exportation ou leurs diversifications, aux USA, en Europe, en Asie ou au Moyen-Orient.
- Favoriser l'immigration sélective.
- Etc.
On est loin des solutions suivantes : forcer le retour au travail des retraités, retarder de 65 à 67 ans l'âge de la retraite, ou réduire les rentes attribuées aux prochaines générations de retraités.
RD
Nous vivons plus longtemps. Tant mieux. Mais les différents régimes de retraite, eux, vieillissent mal, parce qu'à l'origine, ils n'ont pas été conçus pour payer des rentes jusqu'à 82 ou 85 ans.
De 1975 à 2005, au Québec, l'espérance de vie d'une personne de 65 ans a progressivement augmenté de quatre ans. C'est énorme.
Les travailleurs qui ont cotisé à des régimes de retraite, privés ou publics, peuvent donc espérer vivre plus longtemps de leurs rentes. Par ailleurs, les régimes universels, comme le Programme de la sécurité de la vieillesse (la pension de vieillesse), puiseront davantage dans les coffres de l'État, puisque les personnes âgées seront de plus en plus nombreuses à attendre leur chèque.
Ce ne sont là que deux facteurs de changement dans l'équation toujours plus compliquée du soutien à la retraite. Ajoutez, comme pour simplifier les choses, les rendements anémiques des régimes, ces dernières années - alors qu'on prévoit d'autres périodes de vaches maigres avec des taux d'intérêt au plancher -, et vous verrez « qu'y en aura pas de facile », comme disait l'ancien entraîneur des Canadiens, Claude Ruel.
D'où l'intervention de Stephen Harper, à Davos, qui a clairement évoqué un report de l'âge auquel les fameuses pensions de vieillesse commenceraient à être versées, de 65 à 67 ans... au moins. Que les plus inquiets se rassurent, ce n'est pas pour demain, peut-être même pas avant la fin de la décennie, mais le compte à rebours est commencé.
Le paysage démographique a beaucoup changé au cours du siècle dernier. Autrefois, les personnes de 65 ans étaient considérées comme de petits vieux, à 70 ans, ils entraient dans la catégorie des vieillards, et 80 ans étaient un âge canonique. L'État attribuait une rente pour adoucir la dernière ligne droite d'une vie qui, de toute façon, s'achevait.
Mais les centenaires ne sont plus rares. Et attendez de voir la suite. En octobre 2009, un article de la réputée revue scientifique britannique The Lancer, affirmait que la majorité des enfants nés depuis l'an 2000 dans les pays industrialisés, y compris le Canada, franchiraient le cap des 100 ans! Recherches à l'appui, on y développait la thèse selon laquelle les gens ne vivent pas simplement plus longtemps, ils vivent également mieux.
Le poids des responsabilités
Cette observation ouvre la porte à une discussion plus large. Tôt ou tard, si rien ne change, nos sociétés seront ensevelies sous le poids de leurs responsabilités envers les aînés. Leur bonne forme relative les amènera à vouloir profiter bien légitimement de cette retraite prolongée. Nous arriverons donc inévitablement à un point de bascule, où il y aura trop de demandes par rapport aux ressources financières disponibles.
Que faire? Comment se préparer? Deux avenues sont le plus souvent mentionnées. La première consiste à réduire la hauteur des rentes, pensions et avantages en tous genres. Si plus de personnes recevaient des versements plus longtemps, il n'y aurait qu'à baisser les montants et l'équilibre serait préservé. Il suffirait de comprimer les dépenses et le tour serait joué.
Le problème avec cette méthode, c'est que les besoins, eux, ne diminuent pas. C'est comme si, avec plus d'invités autour de la table, on servait de plus petits morceaux de la même tarte. À la fin, les gens ont encore faim. Le nivellement par le bas ne règle rien.
Mais si on faisait en sorte que moins de monde arrive à la table en même temps? Autrement dit, si on prenait en compte l'allongement de l'espérance de vie pour retarder le versement des prestations ? De toute manière, comme on vient de le mentionner, les prestataires d'aujourd'hui ont toutes les chances d'en recevoir bien plus longtemps que leurs prédécesseurs. Eux mouraient jeunes, ou presque. C'est de moins en moins le cas. Au bout du compte, l'échange demeure profitable.
Il faudra cependant revoir en profondeur notre conception du travail et notre perception de la contribution des gens plus âgés. Les inciter à demeurer actifs est une chose, leur en donner l'occasion en est une autre. On devra aussi repenser des formules imaginées plus tôt, mais qui ne tiennent plus la route aujourd'hui, comme la pleine retraite dont peuvent bénéficier les policiers dès l'âge de 50 ans.
Évidemment, il serait plus commode de fermer les yeux et de faire semblant que le statu quo est préférable au changement. Désolé. Dans ce cas-ci, il contredit plutôt les valeurs fondamentales d'une société qui se targue d'équité et de solidarité.
COMMENTAIRE DE PHILOMAGE
La vision exprimée par ce journaliste s'inscrit dans un contexte figé des années 80. D'abord, la crise démographique définie en terme de carence en main-d'oeuvre est connue depuis les années 70. Les démographes du Québec ont signé nombre d'études signalant vers quoi on s'en allait.
La vague des baby-boomers des années 45 allait continuer à déferler et à changer la société québécoise du tout au tout. C'est ce qui arrive maintenant avec leur arrivée à la retraite en 2013. La question fondamentale est celle de la relève, tant au niveau des entrepreneurs que des cohortes de main-d'oeuvre. Ce qui fait la qualité de cette main-d'oeuvre n'est pas nécessairement reliée à leur nombre, mais à d'autres variables comme la productivité et la formation.
La recette de base est relativement simple :
- Oui, certains régimes de retraite comme ceux des policiers sont à rééquilibrer. Ils sortent de la norme et sont le fruit de négociations où le Législateur a baissé les bras.
- Oui, tous les travailleurs ont droit, de la part du Fédéral à une rente de vieillesse et à un supplément adéquat. Elle est donnée à tous les citoyens canadiens du fait de notre appartenance et de notre contribution à l'essor de ce grand pays.
- Oui, il faut repenser les régimes de retraite pour les mettre à jour et bien répartir les coûts intergénérationnels.
Mais, les réponses viennent aussi de la conduite de l'économie :
- Faire disparaître les emplois désuets pour réduire les besoins en main-d'oeuvre dans des secteurs non productifs ou non essentiels. Automatiser dans la mesure du possible.
- Favoriser l'émergence d'une main-d'oeuvre jeune, bien formée et expérimentée, en valorisant le diplôme et le transfert de connaissances et de l'expérience des 30-65 ans sur le marché du travail.
- Mettre l'accent sur les secteurs à haute valeur ajoutée, très intensifs en technologie et beaucoup moins en main-d'oeuvre.
- Investir dans la mise à niveau des compétences des travailleurs expérimentés. Ce que l'on appelle la formation continue.
- Investir dans les grands projets ou travaux comme la mise en valeur du Plan Nord, les barrages hydroélectriques.
- Recruter des investisseurs étrangers.
- Favoriser les productions à forte valeur ajoutée dans des créneaux exclusifs ou avec des avantages comparatifs majeurs pour le Québec.
- Renforcer les marchés d'exportation ou leurs diversifications, aux USA, en Europe, en Asie ou au Moyen-Orient.
- Favoriser l'immigration sélective.
- Etc.
On est loin des solutions suivantes : forcer le retour au travail des retraités, retarder de 65 à 67 ans l'âge de la retraite, ou réduire les rentes attribuées aux prochaines générations de retraités.
Une société canadienne riche et équitable doit respecter la retraite de ceux qui ont bâti ce pays, les aînés d'aujourd'hui et de demain.
RD
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