dimanche, avril 22, 2012

 

Les médias : des clichés sur les aînés

 Article de Stéphane Baillargeon - Le Devoir, avril 2012.

L'opposition a sorti le gourdin contre le blanchon automatisé du ministre Yves Bolduc cette semaine à l'Assemblée nationale et les médias ont vite rapporté la controverse. Normal. Cette histoire de robot antidépresseur a permis encore une fois de concentrer les habituels clichés âgistes sur les coûts réputés exorbitants de l'entretien des vieux, décrits par euphémisme comme des «personnes du troisième âge».

«La question de l'âgisme est tout aussi "dangereuse" que la question du racisme ou du sexisme, dit Martine Lagacé, professeure agrégée du Département de communication de l'Université d'Ottawa, sans commenter précisément cette histoire de toutous bébés phoques. Sauf qu'on parle très peu de cette forme d'exclusion. L'âgisme est même très souvent toléré dans notre société et dans les médias.»
Le débat sur le toutou à 6000 $ portait sur les ressources allouées aux soins «pour les aînés». Le ministre de la Santé a expliqué les vertus thérapeutiques d'un toutou bébé phoque que ses fonctionnaires sont en train d'expérimenter dans les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD).

«Les personnes âgées réagissent aux émotions et sont capables d'avoir des émotions avec ça», a proposé le docteur en chef. Peine perdue. L'opposition a continué à décrier le manque de ressources pour s'assurer «que les bains soient donnés et que les repas soient mangeables [...] au lieu de faire appel à des clowns».

La professeure Lagacé s'intéresse à la discrimination envers les personnes âgées et aux rapports intergénérationnels depuis son doctorat en psycho sociale (1997) qui analysait l'impact des stéréotypes sur des fonctionnaires fédéraux en retraite anticipée. Avec ses collègues psychologues, médiologues ou économistes, depuis quinze ans, elle scrute les clichés colportés dans la société et au travail en particulier.

L'espérance de vie s'allonge et les stéréotypes s'étendent. Les clichés sur les vieux renversent ceux sur les jeunes. La vieillesse est technophobe, la jeunesse, technophile. Les travailleurs de plus de 45-50 ans sont blasés, improductifs, conservateurs, tandis que les moins de 40-45 ans se révèlent motivés, dynamiques, progressistes. Et puis, les vieux sont laids et les jeunes sont beaux, évidemment.

Ces lieux communs ont des effets très pernicieux. «La présence de stéréotypes âgistes en milieu de travail ou auprès des retraités a un impact psychologique important, poursuit la spécialiste. Les clichés affectent leur santé psychologique et leur estime. Ils poussent aussi des travailleurs à la retraite.»

Tout ça a un énorme coût socioéconomique qu'un collègue de Mme Lagacé est en train de mesurer au Canada. Reste la cause, ou à tout le moins «les véhicules de transmission» de ces images déformantes, qu'une première analyse médiatique pionnière vient de cerner. Des études ultérieures s'intéresseront à d'autres paroles publiques, les discours politiques et médicaux notamment.

La professeure a concentré l'enquête pionnière sur La Presse et The Globe and Mail. Un premier recensement a permis de choisir un peu plus de mille articles publiés pendant certaines semaines de 2000, de 2005 et de 2009. Un second tri a ramené l'échantillon à 120 textes, soit 60 pour chacun des grands quotidiens, tous soumis à une fine analyse de contenu considérant chaque fois les thèmes abordés, la longueur de l'article, le ton général ou le vocabulaire dans ce monde où les euphémismes abondent: seniors, elders, aînés... «Le mot soigné cache une vision négative», résume la chercheuse qui a présenté une version préliminaire de son enquête à l'Observatoire Vieillissement et Société le mois dernier.

Vrai négatif, faux positif

Et alors, quelles sont les grandes conclusions? «Quand la presse canadienne parle du vieillissement, elle en parle de manière très polarisée, résume la chercheuse. D'un côté, on en parle de manière négative en répétant que c'est une mauvaise affaire de vieillir, un poids lourd pour la société. Dans cette vision, les personnes âgées sont des victimes et elles exigent des soins sans rien donner en retour. D'un autre côté, les médias en parlent avec des exemples exceptionnels, en louangeant tel monsieur de 85 ans capable de nager sept kilomètres, ce qui renforce au fond le cliché du vieux habituellement incapable, y compris pour les autres personnes âgées.»

Le traitement médiatique oscille entre le vrai négatif et le faux positif. «Ce langage polarisé ne correspond pas à la réalité du vieillissement, poursuit Mme Lagacé. Les faux positifs créent de l'âgisme dans la génération des personnes âgées. Le discours négatif qui décrit les personnes âgées comme des gens séniles dans le besoin crée un âgisme intergénérationnel.»

Les exégètes des médias n'ont pas vu de différence notable entre les deux journaux. Le Globe comme La Presse traitent d'ailleurs le plus souvent la vieillesse sous l'angle économique, ce qui accentue la perspective utilitaire, pour ne pas dire néolibérale.

«Le Globe se concentre plus sur la démographie, le tsunami gris qui s'en vient. La Presse s'attarde plus à la retraite, demande sans cesse combien ça va coûter d'entretenir les retraités. Ce discours sous-tend que la personne âgée n'est plus productive au sens économique et néolibéral. On oublie toute sa présence sociale.»

À peine une douzaine d'articles portaient sur les rapports intergénérationnels positifs. Douze sur cent vingt...

Autre constat: les vieilles femmes n'existent presque pas dans le corpus. Cette double norme discriminatoire corrobore des études antérieures sur l'absence des femmes âgées à la télé.

Reste à savoir si les médias créent les clichés ou les reproduisent. Martine Lagacé pense que les deux possibilités ne s'excluent pas. Les journalistes semblent méconnaître la réalité des personnes âgées et tombent vite dans les redites et les poncifs.

«Dans La Presse, les CHSLD sont presque toujours présentés comme des mouroirs. Il y a une part de vérité. Mais il y a aussi de beaux endroits et de belles histoires à raconter», dit la professeure, qui recommande aux médias de faire de la vieillesse une spécialité, comme l'éducation ou la danse contemporaine.

«Le vieillissement de la population, ce n'est pas qu'une mauvaise nouvelle, conclut Martine Lagacé. La preuve: le Japon traite très bien ses personnes âgées et c'est une société moderne et beaucoup plus vieillissante que la nôtre. Seulement, au Japon, les croyances autour du vieillissement sont beaucoup plus positives, revalorisantes pour le travailleur vieillissant et les personnes aînées. »

COMMENTAIRE DE PHILOMAGE

Très intéressant comme article. Avec l'arrivée en masse des baby-boomers à la retraite, il va être nécessaire de traiter autrement l'actualité concernant les Seniors. La place occupée par les activités des Seniors va croître dans les journaux parce que ce sont des lecteurs assidus et qu'ils seront présents ou actifs dans tous les secteurs de la société québécoise.

RD 
 





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