mardi, avril 03, 2012

 

Opinions : euthanasie et suicide assisté

Jean Mercier, D.E.S. Ph.D. est professeur titulaire au département de science politique de l'Université Laval. Il a présenté un mémoire en commission parlementaire, en février 2011,et est membre de l'Association québécoise sur le droit de mourir dans la dignité, ainsi que du collectif Mourir digne et libre.

Au Québec, l'euthanasie et le suicide assisté ont longtemps été des sujets tabous. Ces mesures devraient-elles être permises par la loi?

« PLUSD'OPTIONS POUR DIMINUER LASOUFRANCE EN FIN DE VIE »

Dans les prochains jours, la commission sur le mourir dans la dignité déposera (ou aura déposé) son rapport à l’Assemblée nationale. Il est souhaitable que la commission garde à l’esprit qu’une solide et constante majorité de Canadiens et de Québécois sont en faveur d’abréger les souffrances de patients au seuil de la mort, par l’euthanasie ou le suicide assisté s’il le faut.

La commission et ses membres ne peuvent pas ignorer les témoignages directs, à la fois crédibles, rationnels et émouvants, de personnes qui, comme l’ancien haut fonctionnaire Ghislain Leblond, ne demandent qu’à choisir le moment de leur mort devant la perspective de souffrances morales et physiques croissantes et de plus en plus intolérables. Madame Ginette Leblanc, devant une situation comparable à Trois-Rivières, attend aussi avec espoir les recommandations de la commission.

L’espace m’empêche de reprendre ici, un à un, les arguments que j’ai présentés dans mon mémoire à la commission il y a un an, au salon rouge de l’Assemblée nationale. J’avais alors fait la critique des arguments principaux en faveur du statu quo : arguments religieux, philosophiques, légaux, arguments des soins palliatifs et, enfin, les craintes de dérapage.

Comme l’a bien démontré le professeur de philosophie Wayne Summer dans son livre récent Assisted Death, il ne reste aucun argument philosophique convaincant pour que, dans des sociétés démocratiques, basées sur le libre choix, on force des gens, qui ne le veulent pas, à souffrir le martyre dans les derniers stages de leur vie.

Loin d’être en opposition, les soins palliatifs et l’aide au mourir devraient être vus de façon complémentaire, comme c’est le cas en Belgique, pays qui est beaucoup plus avancé que nous en la matière.

Quant à l’argument avancé par les autorités ecclésiastiques catholiques, à savoir que le fait de ne pas vouloir souffrir le martyre en fin de vie est un symptôme d’une société « égoïste », on ne sait pas s’il faut en rire ou pleurer. L’individualisme est peut-être un problème social, mais ce n’est certes pas en forçant les gens à souffrir sans raison, à endurer des maux de cœur constants, à peiner à respirer et à subir toutes sortes d’humiliations durant les derniers moments de leur vie qu’on réglera la question!

Quant aux supposés « dérapages » des sociétés en avance sur nous en la matière, comme la Belgique ou la Hollande, la Société royale du Canada, un des organismes de politique publique les plus respecté en Amérique de Nord, a conclu, dans un rapport très documenté, que cet argument ne tient pas la route, ce supposé « dérapage » faisant surtout office d’épouvantail à moineaux.

En conclusion, entre le désir légitime des Canadiens et des Québécois de réduire les souffrances intolérables en fin de vie et sa mise à l’œuvre, il ne reste guère, aujourd’hui, comme arguments, que des déformations d’expériences étrangères, des excès de langage et des arguments dogmatiques d’autorités ecclésiastiques, déguisés en propos philosophiques.

Non à la mort politiquement assistée

par Louis-André Richard (professeur de philosophie et écrivain)
Louis-André Richard est professeur de philosophie, écrivain et président de l'Institut Jean-Paul Desbiens. Il est l'auteur de deux ouvrages sur le sujet ; « Plaidoyer pour une mort digne » et « La nation sans la religion? Le défi des ancrages au Québec ».

 « NON À LA MORT POLITIQUEMENT ASSISTÉE »

Parce que l’euthanasie porte atteinte à la vie d’autrui, mourir dans la dignité ne doit pas être associé au fait de l’autoriser, de la valider ou de l’endosser.

Parfois sur nos écrans, nous regardons des fictions mettant en scène la fin de vie : c’est un papa atteint d’un cancer à qui le fils médecin procurera un comprimé délétère provoquant sa mort. C’était dans un épisode du téléroman La promesse. 

Plus ou moins subtilement, on véhicule ainsi l’idée d’entériner l’euthanasie dans certaines circonstances, nous laissant croire qu’il s’agit d’un acte de compassion.
Mais qu’en est-il? Dans les faits, l’opinion publique est divisée sur cette question morale et il semble difficile de savoir qui a raison.

Comment soutenir l’idée que la pratique de l’euthanasie soit inacceptable? Il faut chercher du côté du semblable plutôt que de celui du dissemblable. En fin de vie, nous sommes tous pareils. Nous sommes fragiles. Nous craignons de souffrir et nous avons toujours besoin des autres, même quand, ironiquement, on sollicite leur présence pour mettre fin à nos jours. Tel est notre lot à tous et la marque probante de notre égalité citoyenne en fin de vie. Voilà ce qui doit être protégé.

De tout temps, la loi assure cette protection en fixant les obligations sociales nécessaires au fonctionnement de la société. Elle sanctionne les délits contrevenant à l’ordre public, mais elle n’indique pas et n’impose pas le bien. 

C’est pourquoi le fondement des lois s’exprime sous forme d’interdits. Le devoir de l’État est de maintenir le respect de l’ordre public par le respect des interdits.

L’enjeu concernant l’euthanasie touche à l’interdit de porter atteinte à la vie d’autrui. À cet égard, il faut assurer la sécurité, surtout aux plus fragiles d’entre nous. Cela garantit aussi l’expression la plus équitable des libertés individuelles, car la liberté réclamée du mourant de contrevenir à l’interdit impose nécessairement la transgression de ce même interdit par celui qui l’aidera. Politiquement, nous n’avons aucun besoin de changer nos pratiques. Les demandes d’euthanasie sont rarissimes et elles doivent être passibles de sanctions. 

Pour les exceptions, s’il pouvait en avoir, il y aura toujours l’examen des circonstances atténuantes. Politiquement, l’exception ne doit pas imposer un changement de règle ou un détournement de sens. Il serait saugrenu d’abolir l’interdit du vol sous prétexte qu’il y a des voleurs actifs dans nos cités! Il en va de même pour l’euthanasie ou le suicide assisté médicalement ou non.

Les conditions entourant ce dernier acte dans nos existences sont tellement complexes et fragiles que l’État ne doit pas être complice d’une mort politiquement assistée. Le vieux Sophocle a peut-être raison : « C’est quand je ne suis plus rien que je deviens vraiment un homme. » Qui sait?

RD

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