mardi, juin 11, 2013
Vieillir en disgrâce
Article de Denise Bombardier, Journal de Québec, 27 avril 2013
On me permettra cette transposition de mon dernier ouvrage, « Vieillir avec grâce ». Je veux parler de cet inepte cahier de jeux sur la sécurité proposé par le Service de police de Montréal (SPVM), au titre débile de Thérèse Ponsable et adressé aux personnes âgées. Il ne s'agit pas d'une initiative isolée du SPVM, car la FADOQ, le groupement des aînés, a cautionné ce cahier.
INFANTILISATION
La brochure propose des jeux interactifs, des « stimuli cérébraux », qu'on ne mettrait pas dans les mains de jeunes enfants intelligents. Exemple : « Il faut si l'on se met derrière un volant être capable de bouger avec facilité toutes les parties de votre (sic)...» Les « stimuli » consiste à terminer la phrase , laquelle comporte évidemment une faute de grammaire, l'adjectif possessif devant être « son » et non pas « votre », Ce n'est pas la première fois que des brochures officielles s'adressent à une clientèle ciblée en offensant l'intelligence des gens.
QUÉBEC : UNE MATERNELLE
Ce «gnagnanisme » est une tendance lourde au Québec, où l'on échange sur un mode non seulement léger, mais puéril. Il suffit d'écouter certains animateurs de radio ou de télé qui se croient encore à la polyvalente, ayant conservé cette langue typique des adolescents qui, normalement, devrait les avoir quittés depuis belle lurette.
Peut-on imaginer, compte tenu du vieillissement de la population, ce qu'il adviendra des gens très âgés qui, grâce aux progrès de la science, auront conservé toutes leurs facultés intellectuelles et à qui on s'adressera comme à des enfants sous-développés.
Vieillir avec grâce n'est aussi possible que dans une société adulte où les aînés (à quel âge est-on vieux, d'ailleurs ?) doivent être abordés dans la dignité de leur âge. Ce qui suppose aussi qu'on ne les tutoie pas. « Thérèse Ponsable » n'est ni drôle ni respectueux. Je me souviendrai toujours de ma vieille tante Edna, peronnage flamboyant ayant vécu la dure vie d'ouvrière, sur son lit d'hôpital. En entrant dans la chambre, une aide-soignante lui dit : « Comment tu vas, ma tite vieille ? » Sans la regarder, ma tante me lança : « Je t'ai-tu déjà dit que je la connaissais, elle ? » C'était à quelques jours de sa mort, mais il lui restait l'énergie de refuser cette familiarité qui l'humiliait.
Il est triste que la FADOQ ait cautionné un fascicule qui laisse croire qu'en vieillissant, les personnes s'infantilisent. À vrai dire, peu importe l'âge, ne devrait-on pas user d'une langue standardisée sans recourir à un vocabulaire amoindri et infériorisant ? Les petits enfants ont droit à un discours qui ne soit pas régressant. Au contraire, on croyait en avoir fini avec des « kiki » pour biscuits. L'enfant est une éponge qui absorbe si facilement qu'il peut assimiler un vocabulaire même abstrait. Enseigner la langue dans sa précision, sa richesse et sa complexité est un des plus beaux héritages que l'on puisse transmettre aux enfants.
Personne n'échappe à la vieillesse. Elle commande des égards particuliers dont le premier est de ne pas dépouiller les personnes de leur bien le plus précieux, l'intelligence.
RD